Récipiendaire du Prix Méditerranée en 2019 et du Prix du livre européen et méditerranéen en 2020 pour son premier roman "Le Ciel sous nos pas" (éd. Albin Michel, 2019), Leïla Bahsaïn s’est confiée à la MAP à propos de ses débuts, révélant que son penchant pour l'écriture a toujours été une évidence depuis son bas âge, malgré les obstacles liés à l’accès limité aux livres dans le Maroc de son enfance.
"Adolescente, je faisais des kilomètres à vélo pour me rendre à la bibliothèque de l’Institut français de Marrakech", a-t-elle expliqué, précisant que dans son entourage, la littérature "n’était pas une carrière professionnelle envisageable", ce qui l’a poussée à poursuivre des études à l'Institut supérieur de commerce et d'administration des entreprises (ISCAE) de Casablanca, pour ensuite intégrer l’Institut d'administration des entreprises (IAE) en France où elle a obtenu un Master 2 en management.
Malgré un parcours professionnel bien rempli où elle a travaillé, entre autres, dans les ressources humaines et en tant que directrice d’une agence de communication, Leïla Bahsaïn affirme être "restée fidèle" à sa passion pour la littérature, animée par l’idée de "tout absorber" pour servir l’écriture.
Pionnière dans l’univers des lettres, elle amorce son ascension dès 2011 avec des nouvelles publiées dans le Magazine Littéraire du Maroc et la revue Apulée, sous la houlette de l’écrivain Hubert Haddad.
"Pendant des années, j’ai écrit beaucoup de nouvelles, un genre que j’affectionne. C’est en étant primée et publiée dans des revues que j’ai décidé d’écrire un roman", a-t-elle souligné, précisant que depuis la parution de son premier roman en 2019, elle s'est consacrée à l’écriture.
Cinq ans après la parution de l’ouvrage "Le Ciel sous nos pas" , Leïla Bahsaïn, inspirée par son expérience et mûrie par la pratique, creuse une fois de plus la question des dominations sous ses multiples formes en publiant "Ce que je sais de monsieur Jacques" (éd. Albin Michel, 2024).
Présenté par l’écrivaine à la deuxième édition du Festival du livre africain de Marrakech, cet ouvrage, conçu comme un roman d'apprentissage, est raconté par Loula, une adolescente dans le Maroc des années 1990 qui, poussée par un appétit de vivre et une grande curiosité, observe les adultes qui l'entourent et décide de rendre compte des nombreuses dominations et violences que peuvent subir les enfants, surtout les plus pauvres d’entre eux.
En focalisant son attention sur un voisin, Monsieur Jacques, Loula en fait "un symbole" car il est "au sommet de la hiérarchie des dominations", détaille l’écrivaine franco-marocaine, notant que "le roman n’est pas pour autant noir", étant donné que des moments d’amitié et de joie intense parcourent cette histoire.
"J’ai voulu restituer la splendeur qui caractérise l’univers de ces adolescents, construire un contraste entre la noirceur des difficultés qu’ils subissent et la beauté de leur énergie de vie et de leur innocence", a-t-elle fait valoir, indiquant qu’elle voulait être à la hauteur sur le plan littéraire compte tenu de l’exigence et de la puissance de l’histoire.
Revenant sur les caractéristiques de son style d’écriture, Leïla Bahsaïn affirme que même si la première personne domine ses trois romans et la plupart de ses nouvelles, ces derniers ne sont pas pour autant autobiographiques, même s’ils empruntent certains aspects de sa trajectoire ou de ses traits de caractère.
Ficelés avec un "je" qui cherche l’altérité, l’écrivaine franco-marocaine explique que cela représente sa façon de "rejeter la bien-pensance" des sociétés dans lesquelles elle a évolué, vouant un "engagement total" envers ses personnages, parfois nourris par ses propres expériences, dans une volonté de "graver dans le marbre certaines histoires et la charge émotionnelle ou esthétique qui leur est afférente".
Tirant son inspiration des aventures humaines et des injustices dont elle a été témoin, l’écriture de Leïla Bahsaïn est animée par une éthique personnelle et une loyauté envers les sujets qui la font vibrer, afin d’ancrer chaque mot dans une réalité palpable.
Par ailleurs, elle confie que ses romans naissent souvent d’une colère ou d’un désir ardent d’expression face à ce qui la touche, précisant que ce qui l’intéresse le plus est de raconter une histoire "en faisant un travail sur la langue".
"Ce sont la construction des personnages, la structure du roman, le style, qui me passionnent. Je veux que mon texte ait une charge poétique qui corresponde à l’histoire que je raconte et à la trajectoire de mes personnages. Ensuite, lorsqu’on s’intéresse à un parcours de vie individuel, il y a certaines thématiques qui se dégagent de ce que nous écrivons", a-t-elle assuré.
Fluctuant selon ses doutes du moment, le regard de Leïla Bahsaïn sur son parcours oscille entre surprise et détachement. Issue d’une famille où seul le savoir et la probité étaient valorisés, elle a su garder la tête froide et persévérer dans ses activités sans attendre de contrepartie, encourageant les écrivains en herbe à embrasser l’aventure littéraire pour le simple plaisir d’écrire, sans garantie de publication.
Rejetant l’idée selon laquelle l’adoption d’une nouvelle culture reviendrait à renoncer à la culture d’origine, l’immigration a élargi le regard de Leïla Bahsaïn sur la diversité culturelle, marquant ainsi son écriture avec des romans qui explorent l’apprentissage de la liberté individuelle au-delà des assignations géographiques ou religieuses, insistant sur la fluidité et la liberté d’une identité en constante évolution.
Illustrant ses propos par des preuves tangibles, issues de son roman "La théorie des aubergines" (éd. Albin Michel, 2021), elle met en évidence la volonté de sa narratrice, Dija, d’être elle-même, de circuler librement et de se renouveler.
Fraîchement publiée, Leïla Bahsaïn éprouve l’intensité émotionnelle qui accompagne la naissance de son nouveau roman, évoquant également un nouveau projet en gestation en vue de nourrir son désir profond de continuer à écrire pour offrir ses textes à ceux qui acceptent de s’embarquer dans son univers, avec l’espoir que ses mots puissent "aider, divertir, consoler ou émouvoir".
Parallèlement à ses succès littéraires, Leïla Bahsaïn œuvre activement dans le domaine associatif depuis 2009. Cofondatrice et vice-présidente de l’association Zitoun, elle consacre son énergie à l’alphabétisation de centaines de femmes à Marrakech chaque année.
Ce double engagement, entre l’écriture et l’action sociale, fait d’elle une figure remarquable qui transcende les frontières du romanesque pour s’ancrer dans la réalité concrète.