Le président élu, qui a gouverné ce pays de 215 millions d'habitants entre 2003 et 2010, sera investi le 1er janvier prochain en présence d'une pléiade de chefs d'Etat et de gouvernement, l'occasion pour la nouvelle direction de montrer que le pays ouvre une nouvelle page dans la gestion de l'Etat et des affaires étrangères.
Le come-back de l'ancien syndicaliste, vainqueur par une courte avance de moins de deux millions de voix contre le président sortant, Jair Bolsonaro (Parti libéral, droite), soulève déjà de nombreux débats au plan national sur les voies qu'empruntera le Brésil à partir de l’année prochaine au niveau politique, comme en termes de démarches économiques.
La mission de Lula, qui suscite une certaine méfiance pour son emprisonnement pendant un an et demi à partir d’avril 2018 après des condamnations pour corruption, - avant que les condamnations ne soient annulées par la Cour suprême-, ne sera pas de tout repos. Les deux défis majeurs à relever par l'homme de 76 ans : convaincre de son projet la moitié de l'électorat qui a voté pour son rival et composer avec un Parlement dominé par le "bolsonarisme" qui s'installera dans la durée.
Les partisans de la droite ont fait pression jusqu'au bout sur l'armée et la justice électorale pour empêcher l'investiture de Lula, criant à la fraude et à des dysfonctionnements dans des machines à voter électroniques. Des camionneurs bloquaient des routes, le Parti Libéral de Bolsonaro a discrédité les résultats et des manifestants campaient devant les casernes de l'armée pour exiger une intervention militaire.
Cette situation confirme selon les observateurs que la division et la polarisation s'installeront dans la durée et sera le principal défi à relever par le prochain président du Brésil.
"Lula entamera son troisième mandat vulnérable. Sa dépendance certaine du soutien de la droite au Parlement l’obligera à faire des concessions", a indiqué à la MAP l’expert politique en relation internationales, Altair de Sousa Maia.
Au milieu de cette polarisation politique inédite, Lula est parvenu à rassembler plus d'une dizaine de partis de tous bords autour de sa candidature et plus tard autour de son gouvernement, une arme à double tranchant car cette coalition composite pourrait altérer la célérité dans la mise en oeuvre des projets et des réformes épineuses promis par le leader de la gauche.
Si Lula l'a emporté in extremis en profitant de la nostalgie à ses mandats réussis, notamment aux plans social et économique, Bolsonaro a été rattrapé par la gestion de la pandémie bien que l'économie a montré cette année des signes de redressement. L'année prochaine, le Brésil sera confronté à une récession quasi-certaine et Lula va devoir trouver des solutions ingénieuses pour financer les promesses ambitieuses en matière d'aides sociales et de lutte contre l'inflation et l'amenuisement du pouvoir d'achat des Brésiliens.
Le leader progressiste devra par la même occasion calmer les ardeurs de ceux qui n'ont pas encore digéré sa victoire. "Les résultats des présidentielles de 2022 sont les plus serrées depuis le rétablissement de la démocratie en 1985, avec un écart de seulement 1% entre le vainqueur et son dauphin", fait observer Fábio Albergaria de Queiroz, expert en géopolitique, précisant que ce constat en soit illustre l’étape critique que va devoir traverser un Brésil divisé dans un futur proche.
Le milieu des affaires est resté également méfiant à l'égard des mesures promises par Lula qui risquent de réduire les capacités d'investissement face à l'augmentation des dépenses sociales de l'Etat, ce qui peut décourager les investissements étrangers qui ont enregistré au Brésil l'une des performances les plus importantes au monde durant la dernière année de mandat de Bolsonaro.
Au plan de politique étrangère, la participation du président élu à la COP27 organisée en Egypte et où Lula a promis un engagement sans faille de son gouvernement en faveur de la lutte contre le changement climatique a été vue comme un revirement après les critiques sans fin contre le gouvernement Bolsonaro pour son "laxisme"dans la protection de l'Amazonie.
En effet, le changement de politique environnementale par le Brésil pourrait marquer une accalmie dans les relations avec la communauté internationale et relancer le processus de ratification de l'accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur.
"La protection de l'Amazonie sera parmi les priorités de mon gouvernement, qui se fixera des objectifs de zéro déforestation", avait-il assuré.
Lula, de par son background idéologique et le contenu de son programme, reprendra la coopération Sud-Sud, notamment avec les gouvernements de gauche dans la région, en plus de rechercher à renforcer le partenariat économique et stratégique avec la Chine et d’oeuvrer à la construction "d'un nouvel ordre mondial attaché au multilatéralisme, au respect de la souveraineté des nations".
Le triomphe de Lula da Silva au Brésil est, par ailleurs, présenté comme une bonne nouvelle pour les pays latino-américains gouvernés majoritairement par des partis ou des coalitions de gauche. Néanmoins, le Brésil est connu pour son pragmatisme et son attachement à assumer son statut de puissance mondiale facilitatrice.