Il est vrai que, depuis l'adoption de la représentation proportionnelle à scrutin de liste en 2002, les partis politiques ont vu leur rôle accru dans ce processus et, de ce fait, se positionnent en tant qu'acteurs intermédiaires entre les citoyens et leurs représentants politiques.
Dans un premier temps, ils déterminent, à travers la désignation des candidats aux élections, les profils auxquels les électeurs auront la possibilité de donner leur vote. Ils choisissent ensuite, parmi ces candidats, ceux qui figureront en tête de liste. Or, dans un système électoral tel que celui en vigueur au Maroc, ce choix posé par les partis politiques quant à leurs candidats est déterminant pour la composition des futures assemblées élues.
Pour le professeur de sciences politiques à l'université Cadi Ayyad M'hammed Belarbi, trois fonctions sont traditionnellement reconnues aux partis: l'intégration sociopolitique, la production idéologique et programmatique et le choix des candidats et des élites. Alors que les candidats sont des acteurs clés du cycle électoral, leur sélection par les appareils partisans s’opère comme un filtre entre les citoyens-électeurs, d’un côté, et le personnel politique exécutif ou législatif, de l’autre, explique-t-il. Partant de ce constat, comme ailleurs, dans le contexte marocain, la présentation par les partis politiques de candidats crédibles, capables de répondre aux problématiques du moment et surtout de recréer de la confiance est une opération délicate, estime-t-il.
Devant autant d’enjeux, l'émergence de nouvelles élites demeure alors tributaire de la présence et de l’ancrage de chaque formation dans la société, de la gestion de ses divergences internes ainsi que de son positionnement dans les milieux rural et urbain. Car, selon l'universitaire, les limites du paysage partisan marocain à promouvoir des profils variés aux plus hautes fonctions de représentation alimentent un discours anti-élites de plus en plus audible dans la société.
Dans la même lignée, le politologue Mustapha Sehimi justifie ce discours anti-élites par une défiance envers les partis et non pas à l'égard de la politique. La preuve en est la mobilisation quotidienne sur les réseaux sociaux. Pour ne parler que des jeunes, ils sont présents, "activistes" même dans le monde digital, suivant l'actualité nationale, réagissant et faisant la preuve de leur implication.
Pour lui, cela devrait être pris en charge par les partis politiques pour élargir leur communication dans cette direction-là dans le cadre de plateformes interactives. "Combien d'entre eux disposent de sites vivants, actualisés, offrant un carrefour de débats? Visitez la majorité de ces sites! Vous pourriez mesurer alors le divorce et même l'abîme séparant deux mondes", enchaîne-t-il.
Le dilemme du prisonnier : coopter les notables argentés pour gagner à coup sûr
A seulement quelques mois des élections, un double questionnement s'impose sur le processus de recrutement et de sélection des candidats par les partis politiques : les candidats politiques répondent-ils à un processus d'élection démocratique ou sont-ils soumis à la logique de la cooptation par le haut ? La sélection politique des candidats, par les partis, dépend-elle du militantisme partisan ou tout simplement ne fait-elle que traduire la logique de la rentabilité électorale ?
Selon M. Belarbi, les préparatifs pour les échéances à venir remettent sur le tapis la problématique des mécanismes et des procédures du choix des candidats. En effet, les formations partisanes constituent le lieu naturel où les futurs hommes politiques font l'apprentissage de la vie publique avant d'assumer des responsabilités électives. Dès lors, le processus de sélection des candidats aux postes électifs du parlement prend autant d'importance car il renseigne sur le processus de circulation des élites dans chaque système politique.
"En pratique, il est souvent difficile d'opérer une distinction nette entre l'élection et la désignation par la base. Ainsi à ce niveau, même si la loi pose certaines conditions que toute personne doit remplir pour pouvoir se présenter comme candidate aux élections, entre autres, être de nationalité marocaine et jouir de ses droits civils et politiques, le processus de sélection des candidats au sein des partis politiques est très peu formalisé. C’est ce manque de régulation qui crée à la fois un certain secret autour de la sélection des candidats. Ainsi, les partis étant libres de décider de la manière selon laquelle ils constituent leurs listes, ils ne sont guère incités à rendre publique leur méthode de décision interne", note-t-il.
C'est alors une course contre la montre que les instances décisionnelles des partis politiques vont devoir mener pour arrêter la liste définitive de tous leurs candidats en départageant leurs militants persévérants ou en misant sur les "cartes" gagnantes pour remporter le maximum de sièges.
De l'avis de plusieurs observateurs, la plupart des formations politiques misent sur les figures confirmées pour remporter le maximum de sièges.
C’est pourquoi, d’une manière générale, pour pouvoir gagner le maximum de sièges parlementaires par exemple, l’expérience a démontré dans le contexte marocain que la plupart des partis tendaient la main aux candidats ayant un pouvoir économique ou familial, explique l'universitaire, notant que les notables sont privilégiés par rapport aux militants, ce qui suscite des guerres "intestines" à la veille des élections et favorise les mots d’ordre de la rentabilité électorale. "C’est pourquoi, on assiste souvent lors des échéances électorales à des démêlés politiques entre les dirigeants du parti et les militants", dit-il.
Bien entendu, chaque parti a ses propres considérations. Mais généralement, les formations politiques favorisent les candidats qui vont remporter des sièges, abstraction faite de la compétence et de l’ancienneté en termes du parcours militant.
D’ici là, toute la difficulté des partis, d'après M. Sehimi, concerne le renouvellement de leurs effectifs. Cela tient à la médiocre attraction des partis pour de nouvelles forces vives - les jeunes, les femmes, les cadres,... C'est une enquête du HCP datant de 2014 sur l'engagement des jeunes dans la vie partisane et associative qui reste significative de cette situation. "Elle date sans doute, mais elle garde, me semble-t-il, toute sa pertinence au vu de ce que l'on voit et de ce que l'on sait. Elle conclut que seul 1% des jeunes sont inscrits dans un parti et que 4% sont membres d'associations", souligne-t-il.
Dans la foulée, les instances décisionnelles des partis politiques sont appelées à relever un défi de taille, celui de se baser sur des critères rigoureux dans le choix des candidates et candidats de la liste nationale et de bannir le "clientélisme" qui a prévalu lors des précédentes législatives, pour donner un nouveau visage à l'institution parlementaire.