D’aucun soutiennent que le fait pour Ramaphosa de reconnaitre que la corruption qui a eu lieu durant les deux mandats de l’ex-président Jacob Zuma a érodé les valeurs de la Constitution du pays, n’apporte rien de nouveau à des pratiques connues et reconnues par tous. La nouveauté, par contre, est qu’il a confirmé l’ampleur de ce fléau au sein des structures de l’Etat et de l’ANC lors de sa comparution pour la première fois devant la Commission que préside le juge en chef adjoint Raymond Zondo.
Ce témoignage deux jours durant (28 et 29 avril) était en effet très attendu depuis des années, surtout de la part du président du parti au pouvoir et chef d’Etat en exercice, pour jeter la lumière sur une période sombre de l’histoire contemporaine du pays caractérisée par une corruption à grande échelle conduite par un Etat-parti.
A la question de savoir pourquoi il a fallu à l'ANC environ six ans entre le moment des révélations de l'influence des Gupta, une famille richissime d’origine indienne impliquée dans des affaires de grande corruption, sur la politique gouvernementale et les nominations au gouvernement, pour que les représentants du peuple commencent à enquêter, Ramaphosa n’y est pas allé par quatre chemins.
Cela s’explique par l’achat des voix à l’ANC et le favoritisme, deux facteurs qui constituent une «distorsion du système démocratique du pays», dit-il en substance. Il a ouvertement déclaré à la commission que le parti n'avait pris officiellement la décision de soutenir l'enquête sur la capture de l'État, malgré les appels croissants de la part de ses partenaires, que lors de sa conférence élective de 2017.
Admettant clairement que les dirigeants du parti n’avaient pas été en mesure d’agir contre l’ancien président et ses associés impliqués dans le pillage des ressources de l’Etat, Ramaphosa a déclaré que la capacité de lutter contre la corruption au sein de l’ANC dépend en partie de «l’équilibre des pouvoirs au sein de ses structures».
Ces révélations qui ont sonné comme une bombe viennent, en effet, conforter les dires de nombreux observateurs qui soutiennent que les membres du Parlement ne sont que de simples agents politiques soumis, non pas à la volonté du peuple, mais à la commission politique de l’ANC.
Ils expliquent ainsi que c'est le parti politique qui interprète la manière dont cette volonté sera représentée au Parlement, les députés ne devant utiliser leur propre conscience que dans de rares cas.
De l’avis même du président de la République, les députés de l'ANC versent une part mensuelle au parti qui est «à court d'argent» et qui a, de surcroit, bénéficié politiquement des contributions de plusieurs entreprises publiques, dont Telkom et la compagnie des chemins de fer Prasa. Sur ce sujet, Ramaphosa a reconnu que «cela ne devait pas arriver, à moins que l’argent ne soit donné à tous les partis politiques».
Interrogé par Zondo sur les raisons pour lesquelles de nombreuses entreprises publiques, notamment Eskom, SA Airways et Transnet, ont été poussées à la faillite, le chef de l’ANC a admis que les dépassements commis avaient été motivés par des nominations douteuses. «Certaines personnes ont été placées à certains postes pour faire avancer certains agendas», déplore-t-il.
«La capture de l'État a eu lieu sous nos yeux en tant que parti au pouvoir. Elle a impliqué certains membres et dirigeants de notre organisation et a trouvé un terrain fertile dans les divisions, les faiblesses et les tendances qui se sont développées au sein de l’ANC depuis 1994», a reconnu le président sud-africain.
Force est de souligner que bien avant la comparution du chef de l’ANC, la Commission judiciaire d’enquête a requis plusieurs témoignages qui ont confirmé que les entreprises publiques avaient été «capturées à fond» et ont servi de vache à traire pour un «ANC affamé».
D’aucuns estiment en effet que le phénomène de la capture de l'État, qui renvoi aux vastes détournements de fonds par des politiciens et des hommes d'affaires sud-africains sous l'ère de Zuma, «constitue une menace pour l’avenir du pays».