Dans une interview à la MAP, le directeur des affaires islamiques à la Fédération des associations islamiques, le cheikh marocain Essadik El Otmani, explique les particularités du ramadan et les aspects religieux, sociaux et culturels du mois sacré au Brésil, une terre d’accueil et d’immigration où vivent plus de 1,5 million de musulmans parmi une population de 212 millions d’habitants.
Le chercheur en pensée islamique et sur les minorités musulmanes en Amérique latine livre aussi une radioscopie de la situation des musulmans et de la pratique religieuse à l’ère de la pandémie.
Le Brésil compte une importante communauté musulmane, dont plusieurs marocains. Quels sont les aspects distinctifs de la vie des musulmans et de la pratique religieuse dans ce pays ?
Le véritable avènement de l’Islam au Brésil est lié à l’immigration arabo-musulmane, notamment des syriens et des libanais à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, bien que l'islam existait bien avant dans toute l’Amérique latine, particulièrement au XVIe siècle avec la pratique de l’esclavage.
Le nombre de la communauté arabe au Brésil s'élève maintenant à plus de 12 millions, dont 1,5 millions de musulmans. Sur ce total, les marocains, établis notamment dans la capitale économique Sao Paulo, sont au nombre de 1.500 sur une population musulmane dominée par les Libanais, les Syriens et les Palestiniens.
Les musulmans représentent moins de 1% de la population totale du Brésil (212 millions d’habitants) et sont répartis sur tous les États brésiliens. Ils jouissent de la liberté du culte dans ce pays sud-américain qui compte environ 130 mosquées.
Il faut savoir que la communauté marocaine est peu nombreuse au Brésil et le nombre de mosquées est plutôt dominé par les pays du Levant, du golfe, ainsi que l’Egypte.
Qu’est-ce qui fait la particularité et la différence du mois de Ramadan au Brésil ?
Le mois du Ramadan au Brésil est un événement de haute symbolique pour les musulmans, qui renouvellent à cette occasion les liens spirituels et leur appropriation des valeurs de solidarité et de promotion du bien tels que prônés par l’Islam.
La Ramadan est un événement qui est de plus en plus visible au Brésil, de plus en plus présent dans les médias et parmi la société. Le club de Sao Paulo, l’un des plus célèbres au Brésil, a adressé un message de félicitations aux musulmans à l’occasion du Ramadan.
Pour les musulmans, le mois sacré est l’occasion d’établir une autocritique et de se rapprocher de Dieu par le jeûne et par la prière, dans la piété et la spiritualité. En termes d’aspects culturels et sociaux du mois béni, il n’y a même pas lieu de comparer avec un pays d’expatriation, même si parfois, dans certains endroits comme Sao Paulo, on peut percevoir des habitudes de consommation liées au ramadan, notamment à la rupture du jeûne.
Par ailleurs, des iftars sont organisés par des organisations caritatives au profit des plus pauvres, en particulier ceux vivant dans des zones éloignées des mosquées, où affluent plusieurs musulmans désireux d’imiter, quoique un peu, les coutumes dans les pays d’origine. Ces rassemblements sont néanmoins rendus impossibles ces deux derniers ramadans en raison de la pandémie du coronavirus.
Quel est le rôle des mosquées et des institutions islamiques pour rendre le ramadan plus convivial ?
En fait, les coutumes et les habitudes ramadanesques sont nombreuses et variées selon les origines de chaque communauté. La Fédération des institutions islamiques du Brésil, en coopération avec certaines associations caritatives d’autres pays arabes, organise des iftars collectifs dans plus de 33 mosquées à travers le pays.
Cette année, sur fond des restrictions liées à la pandémie dans l’un des pays les plus touchés par le coronavirus au monde, la Fédération a privilégié la distribution des repas à emporter. Durant la première semaine du ramadan 2021, plus de 7 tonnes de nourriture ont été fournies suscitant des échos positifs parmi la communauté musulmane.
Parfois certains prennent leur iftar à la mosquée en nombre très réduit, avant d’accomplir la prière du maghreb et des Tarawih chez eux ou en groupes restreints dans les principales mosquées comme celles de Foz do Iguaçu (Etat du Paraná), de Brasília et de São Paulo.
Des sessions d’apprentissage et de récitation du Saint Coran sont également organisées au profit des enfants, en vue d’ancrer les valeurs et l’identité islamique chez les générations montantes de la communauté musulmane.
Qu'est ce qui a changé avec la pandémie du nouveau coronavirus au Brésil ?
Pour la deuxième année consécutive, le durcissement des mesures de lutte contre la pandémie a contraint les musulmans à changer nombre de coutumes marquant le mois de ramadan.
L'État de São Paulo vient d'annoncer l’assouplissement des mesures de quarantaine notamment pour les lieux de culte comme les églises et les mosquées ce qui a été favorablement accueilli par la communauté.
En effet, à partir du 24 courant, les lieux de culte seront autorisés à reprendre leurs activités tout en prenant les mesures et précautions nécessaires, de sorte que l'ambiance ramadanesque reprend de plus belle dans les mosquées, en l’occurrence l’accomplissement des tarawih.
Le nombre de fidèles ne doit néanmoins pas dépasser 50 personnes à l'intérieur des mosquées, avec la nécessité d’observer la distanciation d'au moins 1,5 mètre et de respecter les protocoles d’hygiène.
Cet assouplissement ne concerne pas néanmoins tous les États du Brésil, car la situation épidémiologique varie d’une région à l’autre.
Quel est l'apport des imams et de l’école islamique marocaine au Brésil et en Amérique Latine en général ?
La Fédération, qui réunit plus de 40 organisations islamiques et contribue à la construction de plus de 37 mosquées à travers le Brésil, a signé des accords de coopération avec certaines institutions du monde islamique afin de renforcer et améliorer l’encadrement des musulmans du Brésil et de faire venir des imams et oulémas, notamment durant le mois de ramadan.
Nous entretenons aussi une bonne relation avec le ministère des Habous et des affaires islamiques et nous participons également aux événements religieux majeurs au Maroc comme les causeries religieuses du mois sacré.
Nous examinons l’octroi de bourses pour les psalmodieurs et imams marocains pour les encourager à nous accompagner durant le mois béni, mais ce projet a été perturbé par la pandémie.
Les valeurs islamiques marocaines, faites de modération, d’acceptation de la différence et du juste milieu, sont celles qui guident notre travail de promotion de l’ouverture, de la coexistence des religions et de l’harmonie sociale au-delà des différences. Lesquelles valeurs ont été consacrées par SM le Roi Mohammed VI depuis son accession au Trône, à travers la rénovation du champ religieux au Maroc.
Il faut dire aussi que le modèle marocain en matière de gestion de la chose religieuse est le mieux placé pour embrasser parfaitement le système politique, social et culturel en Amérique Latine, le Royaume étant un exemple en matière de liberté religieuse, tout comme l’est l’Amérique du sud où les musulmans ne se sont jamais sentis dérangés, contrairement à d’autres endroits dans le monde.