Si les traditions de consumérisme continuent à avoir la peau dure, il n'en demeure pas moins vrai que la propagation du covid-19 (17 gouvernorats sur les 24 que compte le pays sont classées zones rouges), le risque d'une 3ème vague, l’augmentation en flèche du nombre quotidien de cas nouveaux déclarés et des décès, l’aggravation de la crise politique, économique et sociale, laissent les Tunisiens un peu perplexes.
Les restrictions imposées par les autorités publiques, quelques jours avant l’avènement de Ramadan, ont ajouté une autre couche au sentiment de frustration et d’inquiétude ambiants.
Comme ce fut le cas l’année dernière, les Tunisiens resteront calfeutrés dans leurs maisons et devraient se contenter du peu qui leur est offert. Pas droit aux longues veillées sur les terrasses de cafés, pas de programmes culturels spécifiques ni de possibilité d’assister aux spectacles qu’ils ont l’habitude de suivre lors des festivals de la Médina de Tunis ou ailleurs.
Des restrictions qui dureront jusqu’au 30 avril, qui ne leur permettront pas de déambuler dans les marchés hebdomadaires pour faire leurs emplettes, ni enfin d’accomplir comme il se doit, en raison de la flambée des cas de contamination au covid-19 et couvre-feu instauré, les prières des "Taraouih".
Ces mesures restrictives étaient au demeurent attendues, au regard de la grave évolution de la pandémie (1079 cas enregistrés dans la seule journée du 11 avril avec en sus 39 décès), et pour certains redoutés dans la mesure où elles risquent de fragiliser davantage certains secteurs et toucher de plein fouet de catégories sociales vulnérables.
Malgré tout, ils devraient prendre leur mal en patience, leur seule consolation, ou plutôt distraction, sera peut-être de suivre les productions TV, où pour la circonstance les chaines locales et arabes se livrent à une véritable compétition pour l'audimat.
Pour le reste, ce mois restera une période de bombance. Depuis quelques jours et malgré tous les messages qui leur sont envoyés sur la disponibilité à profusion de tous les produits essentiels et non essentiels, rien n’y fait.
Les tunisiens gagnés par une sorte de fièvre acheteuse raflent tout dans les grandes surfaces et même chez les épiciers du quartier, laissant les étals des produits alimentaires étrangement vides.
Ayant les yeux plus gros que le ventre, les Tunisiens dépensent à volonté pendant ce mois. Ce n’est pas sans raison que les dépenses pour les produits alimentaires augmentent en moyenne de 34% pendant le mois de Ramadan.
En effet, la consommation de certains produits enregistre une hausse de 100% comme certaines variétés de poissons.
Des hausses sont, également, observées au niveau des dattes (+111%) et du thon (+114%). Quant à la consommation des œufs, 26 œufs sont consommés par personne au Ramadan contre 15 seulement pendant le reste de l’année.
La moyenne de consommation du Tunisien de certains types de pains augmente de 58% pendant ce mois sacré, alors que la consommation du lait caillé et du petit lait observe une hausse de 400% en comparaison avec les autres mois.
Et la liste est encore longue de ce gaspillage alimentaire irrépressible.
Selon une enquête réalisée par l’Institut National de la Consommation (INC), le gaspillage alimentaire coûte à chaque Tunisien en moyenne 64 dinars par mois (210 DH), soit 18% du total des dépenses alimentaires (364 DT/mois). Mais qui pourrait arrêter cette frénésie de consommer toujours plus ?
Point n’est besoin de craindre des pénuries, répète-t-on à satiété.
Le ministre tunisien du Commerce, Mohamed Boussaïd, a assuré que durant ce mois, on compterait à 100% sur les produits locaux et qu’un plan d’importation n'était pas prévu, y compris pour les viandes rouges.
De son côté, l’Union Tunisienne de l’Agriculture et de la Pêche (UTAP) indique qu’une production agricole de légumes, fruits, viandes et produits laitiers est disponible sur le marché local pour couvrir les besoins des Tunisiens durant le mois de Ramadan.
Elle impute la perturbation de l’approvisionnement des marchés, l’augmentation des prix et l’émergence des pratiques de monopole et de spéculation à la frénésie d’achat.
En dépit de ces assurances, on assiste quand même depuis plus d’une semaine à une certaine envolée des prix et une résurgence de pratiques spéculatives.
Les associations de défense du consommateur ont d’ores et déjà tiré la sonnette d’alarme sur les risques d’une envolée incontrôlée des prix et de la multiplication des pratiques spéculatives et frauduleuses, appelant à l’intensification des contrôles économiques.
Le président de l’Organisation tunisienne pour l’orientation du consommateur, Lotfi Riahi a souligné que les prix ont déjà augmenté de 10,3% pour les légumes, 8,2% pour la viande, 5,8% pour le poisson et le lait et ses dérivés et 5,7% pour les céréales, ajoutant que les prix de la viande rouge ne sont pas inférieurs à 30 dinars le kilogramme (98 dh), l’équivalent de 9 % du SMIG.
De son côté, Slim Saadallah, président de l’Organisation de Défense du Consommateur a appelé à un comportement civique des citoyens qui devrait se traduire par le boycott des produits dont les prix montent en flèche.
La question qu’on se pose à ce propos, concerne la capacité des Tunisiens à entendre sa voix et à suivre ce mot d’ordre. Difficile de préjuger !