Territoire autonome, mais constitutif du royaume de Danemark, le Groenland (56 000 habitants), le pays le moins densément peuplé au monde, est secoué par une grave crise politique, qui a emporté le gouvernement de coalition social-démocrate en place à la suite d’un vote de défiance, avec un an d’avance sur le calendrier.
Le Premier ministre Kim Kielsen, en poste depuis 2014, a déjà survécu de justesse, en octobre dernier, à une motion de censure en raison d’accusations de conflits d’intérêts liées à une affaire de pêche de caviar.
Sorti affaibli, il a perdu le mois suivant l'élection interne pour la présidence du parti Siumut au profit d'Erik Jensen, davantage favorable à l'indépendance du territoire, mais décide de s’accrocher à la Primature.
Cette dissension interne entre les deux rivaux du même parti s’est exacerbée par un désaccord au sein de la coalition au sujet d'un projet d'ouverture d'une mine d'uranium et de terres rares sur le site de Kvanefjeld (sud) auquel s'oppose le parti "Les Démocrates" qui finit par quitter la coalition, début février, mettant le gouvernement Kielsen en difficulté.
Le projet de Kvanefjeld, situé dans une zone près de la communauté de Narsaq, verrait une société minière cotée en Australie, soutenue en partie par des investisseurs chinois, exploiter des terres rares et de l'uranium dans une région vierge utilisée par les pêcheurs, les bergers et les guides touristiques.
"C'est un projet qui ferait probablement vraiment une différence, en termes de création d'emplois et d'une bonne dose de revenus pour le porte-monnaie national", a déclaré Ulrik Pram Gad, chercheur principal à l'Institut danois des études internationales.
Mais c'est aussi un projet très controversé, en ce sens qu’il pose la question de savoir s’il faut sacrifier cet endroit et son genre de vie pour avancer vers "l'indépendance nationale", s’interroge le même expert.
Actuellement, le Danemark paie les deux tiers du budget du gouvernement groenlandais, mais les redevances de la mine pourraient couvrir jusqu'à 15% des dépenses publiques, environ 250 millions de dollars par an, selon Maria Ackrén, professeure de sciences politiques à Ilisimatusarfik (Université du Groenland).
"Il est clair que l'économie doit être diversifiée", soutient-elle, précisant que "les partis qui sont en faveur voient cela comme un pas vers l'indépendance".
Soutenu par le parti au pouvoir Siumut, qui a gouverné le Groenland pendant tous les mandats sauf un depuis 1979, ce projet a été sèchement rejeté autant par les écologistes, que par les résidents locaux, dont certains ont brandi des menaces de mort.
Inter/Groenland, anguille sous roche
Pas moins de 140 ONG ont signé une lettre ouverte demandant que la zone soit plutôt considérée comme un sanctuaire arctique. Les locaux craignent que la mine ait un impact négatif non seulement sur la pêche, le cœur de l'économie de Narsaq, mais aussi sur le tourisme et l'industrie agricole naissante de la région.
Sauf qu’à seulement cinq kilomètres de Narsaq, se trouve une montagne qui abrite l'un des plus grands gisements de terres rares au monde, une ressource stratégique importante actuellement exploitée presque exclusivement en Chine.
La mine, dont l'exploitation a été interdite jusqu'en 2013, renferme le néodyme, une denrée rare aux côtés de l'uranium utilisée pour les éoliennes, les voitures électriques et les avions de combat.
Autant dire que les retombées du scrutin du 6 avril se feront sentir bien au-delà des frontières du Groenland, un territoire qui renfermerait le plus grand gisement non développé de terres rares au monde, selon l’US Geological Survey.
Alors que s’accélère la fonte glaciaire dans le sillage des changements climatiques, l'accès à l'Arctique devient moins cher. Dans la foulée, les sociétés minières internationales s’étripent pour obtenir le droit d'exploiter les gisements des métaux des terres rares.
Dans ces contrées d’ours polaires et d’icebergs qui fondent, de nouvelles îles apparaissent, portant les promesses de nouvelles découvertes de minerais très convoités.
Depuis 2009, le Groenland est très largement indépendant dans sa politique économique tandis que les fonctions régaliennes, comme la monnaie, la politique étrangère et la Défense restent du ressort de Copenhague, qui maintient sous perfusion le territoire en lui versant 3,6 milliards de couronnes (483 millions d'euros) chaque année.
La Chine a exprimé son ambition de déployer une "Route de la soie polaire" en développant des voies de navigation ouvertes et en encourageant les entreprises à construire des infrastructures dans l'Arctique.
Les États-Unis, d'un autre côté, considèrent le Groenland comme stratégiquement important pour leur système d'alerte rapide et leur dispositif de détection de missiles balistiques, le chemin le plus court entre l'Europe et l'Amérique du Nord passant par l'île arctique.
Le Groenland, lui-même désireux de bénéficier d'une activité croissante dans l'Arctique, prévoit d'agrandir les aéroports de la capitale Nuuk, le centre touristique d'Ilulissat et de Qaqortoq (sud du pays), pour accueillir des vols directs en provenance d’Europe et d’Amérique du Nord.
Dans l’entretemps, de nouvelles routes est-ouest et nord-ouest se dessinent à mesure que fond la calotte glaciaire. Un nouveau nœud dans les échanges mondiaux est en devenir.
Devant autant d’enjeux, c’est à ce se demander que peuvent bien réellement peser les voix des électeurs groenlandais dans un scrutin aux dimensions planétaires !