Le Rwanda n'a pas fini de repenser ce chapitre douloureux de son histoire qui a marqué une population à vie. Les plaies tardent encore à cicatriser sur le plan psychologique et pas seulement chez les survivants de cette tragédie qui a fait près d’un million de morts, selon l’ONU.
Environ 30% de la population, soit près d’une personne sur trois, souffrent aujourd'hui de troubles de stress post-traumatiques liés au génocide. Une grande partie de jeunes et d’adolescents endurent des symptômes semblables à ceux de leurs proches qui ont, eux, vécu le drame. Leurs troubles se manifestent notamment par des angoisses ou des visions terrifiantes de massacres qui se sont pourtant déroulées avant leur naissance.
"Notre mission consiste aujourd’hui à enseigner ce passé violent et cette folie meurtrière aux jeunes générations afin d’en préserver la mémoire, de prévenir de futures cruautés et de surmonter ce traumatisme héréditaire", explique à la MAP Andre Gakwaya, chercheur spécialiste du génocide rwandais.
Cet ancien enseignant relève que l’enseignement de l’histoire du génocide aide les jeunes à développer des réflexions critiques, à comprendre l’idéologie du génocide et ses conséquences sur une nation, et à assimiler l'importance de l'unité nationale, ajoutant que l’enseignement peut leur apprendre également à assumer la responsabilité de leurs propres actes.
"Les études et les recherches académiques réalisées sur le génocide rwandais a favorisé une meilleure compréhension de la psychologie des auteurs de ce drame humanitaire. Elle a permis de comprendre comment des personnes ordinaires se sont transformées en monstres sans pitié et de comprendre le rôle du colonisateur et de sa politique (…) Elles ont également permis d’identifier les mesures permettant de prévenir de telles tragédies dans le futur", souligne M. Gakwaya, par ailleurs directeur général de l’Agence rwandaise d’Information (ARI).
D’après ce chercheur, les preuves, les documents et les témoignages recueillis au Mémorial du génocide de Kigali et dans d’autres institutions à travers le pays constituent des outils forts à l’appui de l’enseignement de l’histoire du génocide des Tutsi.
Pour Ismael Buchanan, professeur à l’Université du Rwanda, l’enseignement du génocide constitue le remède le moyen le plus efficace pour parvenir à une paix durable. "Le rôle de l’école et de l’université est de continuer à expliquer ce qui s’est passé en 1994 pour doter les jeunes de connaissances solides qui les aident à comprendre l'histoire du génocide et l’importance de l'unité et de la réconciliation afin que cette idéologie ne revienne jamais", explique-t-il à la MAP.
"Près de 30 ans avant l’apparition des tueries de masse, l’idéologie du génocide était encouragée au Rwanda et même intégrée aux programmes scolaires, pour approfondir la division ethnique. L'enseignement a contribué à la planification de cette tragédie en influençant les modes de pensée de ceux qui sont devenus, plus tard, des génocidaires", a-t-il fait observer, ajoutant que l’objectif aujourd’hui est d’utiliser l’enseignement comme un moyen positif et efficace pour la réconciliation et la restauration de la paix et de la solidarité.
D’autre part, l’universitaire a fait remarquer que le rôle des établissements scolaires et universitaires est aussi de lutter contre le révisionnisme et le négationnisme du génocide qui portent atteinte à l’histoire et à la mémoire des victimes.
Au cours de ces 27 dernières années, le Rwanda est parvenu à élaborer progressivement une stratégie éducative qui encourage l'enseignement d’un passé violent tout en comportant un fort élément de prévention. Dans le cadre de cette stratégie, l’enseignement du génocide a été intégré aux programmes d’enseignement nationaux, à l’école primaire, au collège et au lycée.
Le Rwanda commémora, le 7 avril prochain, le 27è anniversaire du génocide de 1994, un exercice douloureux de mémoire durant lequel le gouvernement décrétera un deuil national de 100 jours, le temps qu'il a fallu en 1994 pour qu’un million de Rwandais soient massacrés.
Fort des leçons du passé, le Rwanda se présente aujourd’hui, vingt-sept ans après le drame, comme une success story en termes de stabilité, de développement et de croissance et un modèle africain en matière de bonne gouvernance et de politiques sociales.