Sans préavis, le Royaume Uni avait décidé mercredi d'étendre unilatéralement "la période de grâce" permettant aux entreprises de s'adapter après le Brexit, en rupture totale avec le protocole nord irlandais conclu entre Londres et Bruxelles en janvier 2020, dans la cadre du traité de retrait, qui juge ces contrôles nécessaires.
Cette période, durant laquelle les contrôles douaniers sur les produits agro-alimentaires acheminés de la Grande Bretagne vers l'Irlande du Nord sont suspendus, devait expirer normalement à la fin de ce mois.
Pris au dépourvu, les Vingt-Sept ont dénoncé une violation flagrante du droit international et une "trahison de la confiance" accordée à Londres.
Dans une déclaration à ce sujet, le vice-président de la Commission européenne, Maros Sefcovic, a fait état de la "forte préoccupation" de l'Union européenne après cette décision unilatérale, rappelant l'obligation de "bonne foi" prévue dans l’accord commercial, ratifié par les deux parties en décembre.
Durcissant le ton, le responsable européen a noté qu'il s'agit de la seconde violation du droit international de la part du gouvernement britannique, rappelant que la première était en décembre 2020 quand le premier ministre Boris Johnson avait présenté au parlement un projet de loi qui revient sur des dispositions de l'accord, relatives à la même province.
Le commissaire a par ailleurs averti que Bruxelles n'accepterait pas un tel dérapage, notant que la Commission européenne n'hésitera pas à utiliser tous les "moyens légaux" à sa disposition pour faire face aux manœuvres britanniques.
Inébranlable face à ces mises en garde, Londres, qui souhaite retrouver sa pleine souveraineté après le Brexit, a estimé qu'il ne s'agit pas d'une violation de l'accord, mais d'une décision temporaire qui vise à faciliter l'adaptation des entreprises aux nouvelles dispositions commerciales qui ont conduit à des perturbations des approvisionnements en Irlande du Nord.
S'exprimant jeudi devant la presse, le porte-parole du Premier ministre Boris Johnson a minimisé la portée de cette décision, soulignant qu'il s'agit de "mesures raisonnables et pratiques", qui sont bien courantes dans d'autres accords commerciaux internationaux, et "sont tout à fait cohérentes" avec l'intention de Londres de remplir de bonne foi ses obligations au titre de l’accord.
Il a même insisté que l’Union européenne et l'Irlande ne sont pas “aveuglées" par ces mesures, qui font suite à des semaines de perturbation des échanges avec l'Irlande du Nord depuis le retrait définitif du Royaume-Uni du marché unique et de l'union douanière.
"Nous restons engagés dans le protocole nord-irlandais mais nous voulons simplement répondre aux problèmes là où ils surviennent", a-t-il fait valoir, évoquant l'”impact disproportionné” de ce protocole pour la province britannique.
Âprement négocié entre Londres et Bruxelles, ce protocole vise à préserver la paix dans l'île d’Irlande en évitant le retour d’une frontière physique entre la République d’Irlande, membre de l’Union européenne et l’Irlande du Nord, quatrième nation du Royaume Uni.
A la place de celle-ci, ce protocole prévoit une frontière en mer d’Irlande, afin de permettre à l’Irlande du Nord de conserver un pied dans le marché intérieur européen, tout en faisant partie de la couronne. Mais il semble que cette solution concoctée in extremis dans le traité de retrait n'ait pas suffi à résoudre cette question houleuse.
Selon certains observateurs, les freins aux échanges entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord sont le fruit d'un Brexit dur choisi par le gouvernement britannique, mais surtout de la mise en place tardive dudit protocole.
En repoussant jusqu’au 1er octobre, l'introduction des contrôles douaniers sur l'arrivée de marchandises en Irlande du Nord depuis l'île de Grande-Bretagne, Londres s’est attiré également les foudres de Dublin.
"Le gouvernement britannique laisse l'UE sans autre solution", a ainsi déclaré le ministre irlandais des Affaires Étrangères, Simon Coveney, déplorant qu’il ne peut plus faire confiance au Royaume-Uni qui "prend des mesures unilatérales sans négociation".
Ce dossier brûlant a par ailleurs ravivé les tensions au sein de la République d’Irlande. Les unionistes attachés à la couronne britannique ont carrément demandé la suppression du protocole controversé arguant qu’il va certainement mener aux rétablissements des frontières, alors que le Conseil des communautés loyalistes (LCC), a écrit à Johnson pour l'avertir de la suspension de leur soutien à l'accord du vendredi Saint.
Conclu en 1998, cet accord avait mis fin à trois décennies sanglantes entre les unionistes et les républicains irlandais, partisans du rattachement avec la république d'Irlande. Ce conflit avait fait plus de 3.500 morts.