Cette fois, l'idylle n'a jamais été aussi proche du point de rupture. Un nuage épais surplombe actuellement la Maison Blanche, le "Big boss" du club et le patron incontesté du vestiaire se livrant un bras de fer sans merci autour des détails d'une prolongation de contrat. Comme un signe du mauvais temps qui sévit en ce moment du côté du Santiago Bernabeu, le président contracte le nouveau coronavirus, tandis que le capitaine se fait opérer du genou.
Entre rester et partir, il n'y a pas lieu de chercher le fautif entre la star et le président. Le football professionnel, c’est avant tout une relation contractuelle et des paris que seul l’avenir sait élucider. Et puis, le rendement sur le terrain n’est pas perpétuel. L’âge a ses raisons. La vie a les siennes. Ramos pourrait alors partir. Un autre le suppléera. Et comme dirait l’autre, le développement de la discipline favorise désormais les combinaisons, les détails, les équations dont l'addition crée l’équilibre et la cohérence des éléments sur l’échiquier. Personne ne remplace directement personne. Les recruteurs cherchent des pièces susceptibles de constituer ensemble un puzzle homogène, lisible.
La question n’est nullement : Est-ce qu’un David Alaba ou un autre est capable de remplacer Ramos ? Quand, un jour, le sélectionneur espagnol Luis Enrique décrit Ramos de ‘’joueur unique dans l’histoire du football’’, il faut bien admettre qu’un ‘’arrêt sur déclaration’’ s’impose. Ne désignait-il pas cette capacité exceptionnelle à impacter son environnement, tant ses coéquipiers que ses adversaires ?
Ramos renvoie dans ces bravades et emportements à l'héritage culturel d'un homme originaire du sud, qui respire défi et orgueil. Un cheval andalou indomptable. Lorsqu’un jour, le jeune de 19 ans arborant les couleurs du FC Séville s’apprêtait à tirer en direction du but de Casillas, il toquait en fait à la grande porte. Perez ouvrait les yeux, tendait l’oreille, de l’autre côté. Il était sur le point de s’attacher les services de celui qui deviendra le meilleur défenseur et capitaine de l’histoire du Real.
Ce qui surprend dans la biographie de Ramos n’est pas sa capacité à s’imposer dans la composition officielle des Galactiques, mais plutôt son aptitude à s’édifier un statut solide dans un club connu pour son addiction au changement et à l’expérimentation, son penchant pour l’exclusion dès les premiers signes avant-coureurs de paresse. Porter le maillot du club du siècle ne laisse point de place à l’indulgence.
Les années passèrent et le natif de Camas en Andalousie demeure une pièce indispensable aussi bien au sein de la Casa Blanca que de la Roja. Sa polyvalence est rare : De latéral droit au penchant inné pour l’attaque, au défenseur central qui domine les espaces et les adversaires, alternant solidité dans les contrôles, interventions musclées et fluidité de la construction des attaques.
Il poursuit l’œuvre de son idole et modèle, le prince de l’élégance défensive, l'Italien Paolo Maldini (Milan AC), qui a, lui-même, reconnu l’unicité de Ramos dans l’univers de la défense moderne. Même Carlo Ancelotti, qui a entraîné les deux, a dit, lors de son passage à Madrid, avoir retrouvé Maldini, bien que chacun ait son style. Étonnant encore, la reconnaissance allait fuser du pays des grands spécialistes du jeu défensif. Le roc de la Squadra Azzura, Chiellini, n’a pas trouvé à redire. Ramos est le meilleur, selon lui.
Des fans du Real reprochent au FC Barcelone sa dépendance à Messi, alors qu’en fait la ‘’Ramos-dépendance’’ à Madrid semble encore plus prononcée. Les buts décisifs dans les matches cruciaux aux niveaux local et européen, ses sauvetages, le poids de ses absences sont une preuve. Si le Barça dépend de la magie du pied gauche de l’un des meilleurs joueurs de l’histoire, le Real dépend lui de l’âme d’un leader qui ravive la volonté de gagner et tétanise les adversaires.
En football, comme en politique et en sociologie, l’énigme du charisme a été résolue. Comment alors expliquer que des défenseurs du calibre de Carbajal, Marcelo et Varane ne sont plus les mêmes en l’absence du maître ?
Tout le monde ne l’aime pas, bien évidemment. Son agressivité, ses colères, ses sorties médiatiques l’expliquent. Mais, tous les joueurs auraient aimé qu’il soit dans leur équipe. Lui, ces positions ne font qu’attiser sa détermination, sa pugnacité. Il aime exhiber son corps tatoué, ses entraînements marathoniens. Mais, contrairement à des talents comme Prince Boateng, Ballotelli ou Robinho, qui se sont perdus sur le chemin de la gloire, il tient à étaler son sérieux, sa discipline professionnelle exemplaire, sa vie de bon père de famille, sa capacité à faire adhérer le groupe au sein et à l’extérieur du terrain.
Sur les pas des vrais champions qui caressent la légende, il a toujours une longueur d’avance, entretient le secret de la longue haleine, mène au quotidien un combat acharné contre les menaces rampantes de l’âge. Chaque fois que les observateurs prédisent la fin de son règne, il retrouve une seconde jeunesse, place la barre très haute. Alors que les espoirs placés en Thiago Silva, Bonucci, Kolibaly, Homels, Jerome Boateng et Piqué se sont évaporés, il continue à 36 ans à améliorer sa vision et son contrôle du jeu, sa participation aux attaques, son exécution des coups francs et des penaltys. Sa détente et ses buts de tête restent à ce jour un secret bien gardé.
Les buts de Ramos sont presque une malédiction. Certains y voient un rideau qui cache ses défauts en défense. C’est peut-être vrai, surtout dans un football dont les équations sont de plus en plus complexes. Pourtant, un analyste sportif, qui ne cache pas d’ailleurs sa passion barcelonaise, en a dit tout le contraire. Il explique de manière quasi-scientifique la mission de Ramos au sein du Real qu’aucun défenseur central au monde n’arriverait à accomplir, en libérant les latéraux et stoppant les contre-attaques. Dans tous les cas, les attaquants ne dissimulent pas la souffrance qu’ils endurent face à ce gladiateur, qui, outre sa force physique, est doté d’une technique qui l’aide à anticiper leurs manœuvres.
Un jour, il aurait pu, depuis son siège au stade Bernabeu, savourer une défaite tonitruante de son équipe en match retour face à l’Ajax, après avoir conduit son équipe à gagner au cœur d’Amsterdam. Bien au contraire, il est descendu au vestiaire pour défendre ses coéquipiers contre les reproches d’un président remonté. Le leadership pour lui est une pratique et une responsabilité que le fan de Flamenco et de chevaux, qu’il est, accomplit avec amour.
Le défenseur que Madrid recruterait cet été remplacera certes Ramos, mais l’âme qui fait du groupe une marque qui attire des fans du monde entier, qui lui confère une identité propre est, hélas, devenue rarissime dans le football d'aujourd'hui.