A quelques jours de la fin de la période de transition durant la quelle le Royaume Uni et l'Union européenne étaient censés conclure un accord commercial post-Brexit, les deux parties peinent à trouver un compromis. Quelle est votre lecture de la situation ?
- Il y'a toujours espoir de parvenir à un accord. Les négociateurs britannique David Frost et européen Michel Barnier ont assuré à plusieurs reprises qu'un accord est possible. Cela a été également confirmé par le premier ministre britannique Boris Johnson et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Effectivement, la ratification d'un traité dans la durée est faisable, mais le désaccord réside dans les détails.
Des divergences persistent toujours entre les deux parties sur trois points essentiels, à savoir la question de la pêche maritime, y compris la répartition des prochains quotas et l'accès des pêcheurs européens aux eaux britanniques, les règles régissant la concurrence commerciale entre le Royaume Uni et l'UE et la manière de régler les différends dans le futur accord. Ce sont des divergences "profondes et complexes", vu que plusieurs autres questions ont été résolues entre les deux parties.
En définissant l'agenda du Brexit, le premier ministre Boris Johnson avait misé sur des concessions de dernière minute en exigeant la date du sommet européen (14 octobre dernier) comme dernier ultimatum pour sceller un accord. Son approche procédait de son expérience que "les questions les plus complexes sont souvent résolues avec l'Union européenne à la dernière minute", mais aussi à travers les négociations de haut niveau avec les dirigeants des pays européens, comme la France et l'Allemagne.
La question de la pêche est un dossier épineux qui bloque essentiellement les négociations sur le Brexit, quelles sont les principaux points de divergence autour de ce sujet ?
Le Royaume Uni insiste pour que l'Union européenne "respecte sa Souveraineté". Quand ce dernier a quitté le bloc des 27, il s'attendait de jouir automatiquement d'une "autonomie totale" en ce qui concerne la gestion de ses territoires, ses eaux et son argent. Malgré son départ de l'UE le 31 janvier dernier, Londres reproche encore à Bruxelles "de ne pas respecter cette souveraineté".
Le principal point problématique en ce qui concerne la prêche maritime est la répartition des quotas. Quand le Royaume Uni était membre de l'UE, des pays européens comme la France, les Pays-bas, le Danemark et d'autres pouvaient pécher librement dans les eaux britanniques. Après le Brexit, Londres insiste pour que l'équation change, estimant que le Royaume Uni devrait exploiter ses richesses halieutiques en premier et définir après les quotas dont devrait bénéficier chaque pays européen, à condition de négocier chaque année avec Bruxelles, autour de ces quotas, qui ne devraient pas être fixés en vertu d'un accord global.
Selon les informations relayées par la presse, l'Union européenne serait prête à faire des concessions là dessus, mais la question persiste autour du degré de ces concessions. La France ne veut pas trop céder, étant donné que cela constitue une décision politique, qui serait prise en compte lors des futures élections présidentielles.
Bien que la pêche ne représente pas un pourcentage important du PIB britannique ni français d'ailleurs, elle constitue toutefois "une question électorale cruciale", étant liée directement au respect de la Souveraineté.
Outre le dossier de la pêche, les craintes du rétablissement d'une frontière physique entre la République d'Irlande, membre de l'UE et la province britannique d'Irlande du Nord est une question cruciale, qui a retardé les négociations sur le Brexit depuis le début, est ce que les deux parties sont parvenues finalement à trouver une solution intermédiaire ?
La question de la frontière irlandaise a été le socle du traité encadrant le Brexit, conclu en janvier dernier entre Londres et Bruxelles. Elle a été aussi la raison de la démission de l'ex-première ministre Theresa Mays, mais son successeur Boris Johnson a réussi à résoudre cette question de manière directe avec l'ex-premier ministre irlandais et l'actuel vice-premier ministre, Leo Varadkar, en concluant le protocole de l'Irlande du Nord.
Ce protocole vise essentiellement à garantir le maintien des frontières ouvertes entre la République d'Irlande et la province britannique de l'Irlande du Nord.
Pour renforcer ses cartes dans les négociations, le premier ministre britannique a soumis au vote du parlement un projet de loi sur les échanges commerciaux au sein du territoire britannique. En vertu de ce texte, le Royaume Uni pourrait surpasser le protocole irlandais précité, ce qui viole, de l'aveu même du gouvernement britannique, le droit international.
Si Londres et Bruxelles ne parviennent pas à s'entendre sur un accord commercial, ce projet de loi controversé peut provoquer un véritable problème à l'avenir, vu qu'il menace l'accord de paix de 1998 qui a mis fin à trois décennies sanglantes dans l'Ile d'Irlande. Cette question a même suscité une réaction du nouveau président américain Joe Biden, qui avait twitté qu"il ne peut pas permettre que l'accord du Vendredi Saint, qui a apporté la paix en Irlande du Nord, devienne une victime du Brexit".
En cas d'un Brexit sans accord, est ce que le Royaume Uni pourrait quitter l'Union européenne avec les moindres dégâts ? Quel serait aussi l'impact de cette sortie désordonnée sur les entreprises britanniques frappées de plein fouet par la pandémie de coronavirus ?
C'est une question prise très au sérieux par le gouvernement britannique. Au vu des négociations en cours, Boris Johnson a assuré que le "Royaume Uni va prospérer" avec ou sans accord commercial".
En cas de "no deal" les échanges entre les deux parties seraient soumis aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), érigeant de nouvelles barrières commerciales et causant d'importants coûts pour les entreprises importatrices des deux côtés et des retards aux frontières.
Personne ne peut nier qu'une sortie sans accord coûtera beaucoup plus cher à l'économie britannique. L'Union européenne, qui compte 27 Etats membres formant une très grande puissance économique, sera également affectée en cas de no deal mais pas autant que le Royaume Uni, dont l'économie, fragilisée par la pandémie du coronavirus, s'est enfoncée dans une profonde récession, la pire depuis la deuxième guerre mondiale.
Certains rapports, y compris celui de la Banque centrale d'Angleterre (BoE) prédisent même qu'un Brexit sans accord aurait un impact économique beaucoup plus dur que celui de la crise sanitaire. Sans manquer de rappeler que les prix des marchandises et des denrées alimentaires vont augmenter au même titre que les sources d'énergie, exportées de l'Union européenne, en raison du rétablissement des droits de douanes, des taxes et des contrôles douaniers dans les frontières. Plusieurs autres secteurs seront également durement affectés en cas de "No deal", comme le transport et la coopération judiciaire et policière.
Si les deux parties ne parviennent pas à un accord d'ici la fin de la période de transition, censée s'achever le 31 décembre, le Royaume Uni pourrait-il utiliser "la carte" de la pandémie de coronavirus, pour prolonger cette période transitoire afin de prévenir les dégâts précités ?
L'Union européenne était pour une prolongation de la période de transition, mais le premier ministre Boris Johnson a mis sa crédibilité "en jeu" en excluant dès le début toute éventualité d'extension, estimant que cela coûterait encore plus à l'économie britannique. En effet, le maintien du Royaume Uni dans la période de transition lui permet de rester dans le marché commun et l'union douanière, mais avec une facture payée.
Le scénario d'une prolongation est moins probable, mais pas exclu si les deux parties ne parviennent pas à un compromis.
Selon les dernières informations relayées par la presse, le négociateur européen Michel Barnier a été appelé par les représentants de l'UE "à ne pas précipiter" les négociations sous la pression du temps qui reste", insistant qu'un "mauvais accord" ne serait pas accepté.
D'ailleurs, la Chancelière allemande, Angela Merkel a affirmé il y'a quelques jours que l'Union européenne souhaite conclure un accord avec le Royaume Uni, "mais pas à n'importe quel prix", alors que le président français, Emmanuel Macron a adopté un ton plus ferme en appelant Londres à adopter une position "claire", "sérieuse" et "réaliste" afin de parvenir à un résultat tangible.
Si les deux parties ne parviennent pas à conclure un accord d'ici le 31 décembre, elles vont continuer à négocier au delà de la période de transition, mais les pourparlers seraient plus complexes. Dans le cas du rétablissement des contrôles douaniers dans les frontières, les tensions seraient inévitables.