Un fossile de dinosaure à bec de canard, aussi connu sous le nom de Ajnabia Odysseus, a été sorti de terre dans une mine située non loin de Casablanca au sein d’une couche géologique qui date de 66 millions d’années, selon des chercheurs du Centre de Recherche en Paléontologie - Paris (Muséum national d’Histoire naturelle – CNRS – Sorbonne Université) de l’Université de Bath, de l’Université du Pays Basque et de l’Université G. Washington, qui viennent de publier leur étude dans la revue Cretaceous Research.
Les paléontologues estiment que ce dinosaure à bec de canard avait d’abord vécu en Amérique du Nord, puis en Asie via un pont terrestre entre les deux continents à cette période et enfin en Europe. Sa présence en Afrique était jusqu'ici inimaginable.
"Ajnabia odysseus" était un dinosaure herbivore et faisait partie des emblématiques dinosaures à bec de canard qui atteignaient 15 mètres de long. Des caractères distinctifs au niveau des dents et des mâchoires de ce dinosaure montrent qu’il appartenait aux Lambeosaurinae, une sous-famille caractérisée par des crêtes osseuses de diverses formes sur le sommet du crâne.
L’analyse de la distribution biogéographique des Lambéosaures - dont les dinosaures à bec de canard - a montré qu’ils avaient évolué en Amérique du Nord, puis s’étaient répandus en empruntant un pont terrestre vers l'Asie puis l'Europe.
"A l’époque, l'Afrique était un continent insulaire séparé des autres continents par de vastes océans. Jusqu’à la découverte d’Ajnabia, il était inimaginable que des « becs de canard » soient sur ce continent. Leurs présences en Afrique pourraient être comparées à la découverte d’un éléphant en Australie !", explique le Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN), basé à Paris.
Ces dinosaures ont dû faire des centaines de kilomètres à la nage entre l’Europe et l’Afrique. Ils étaient probablement de bons nageurs comme le laissent supposer leurs grandes queues et leurs pattes puissantes. "Leurs restes se trouvent en effet souvent dans les dépôts fluviaux et, comme ici au Maroc, dans des sédiments marins. Dans cette étude, une distance de 500 km entre les deux continents a été évaluée ; c’est un exploit qu’aurait réalisé Ajnabia dont les restes trouvés au Maroc défient les règles de la distribution des faunes terrestres", souligne le MNHN.
"Cette découverte prouve que la barrière océanique n’était pas si infranchissable pour ce grand herbivore et qu’il a sans doute colonisé l’Afrique en faisant des centaines de kilomètres à la nage depuis le continent européen ", explique le paléontologue marocain Nour-Eddine Jalil, professeur au MNHN, qui a participé à cette découverte.
Nour-Eddine Jalil, également chercheur associé au muséum d’Histoire naturelle de Marrakech et du Département de Géologie de la FSSM (Université Cadi ayyad), souligne, également, dans un entretien à la MAP, que "cette belle et heureuse découverte vient enrichir nos connaissances sur la paléo-biodiversité et jeter la lumière sur l'importance des données paléontologiques du Maroc".
« Quand on parle de la richesse marocaine en phosphates, on évoque l'aspect économique et l’industrie chimique des phosphates. On évoque aussi les immenses réserves qui font de notre pays le leader mondial sur le marché du phosphate. Toutefois, il existe une autre richesse et une autre caractéristique des phosphates dont on ne parle que rarement et qui est aussi très importante. Celle que représentent les restes fossilisés de très nombreux organismes conservés dans les phosphates. Ajnabia fait partie de cette richesse », affirme le paléontologue marocain.
La genèse des phosphates du Maroc a commencé il y a environ 72 MA, vers la fin de l’époque géologique qu’on appelle le Crétacé. Elle a eu lieu dans une mer intérieure peu profonde qui recouvrait une partie du Nord du Maroc. Cette mer regorgeait d'une vie foisonnante illustrée aujourd'hui par la multitude et la grande diversité des fossiles des phosphates du Maroc. Plusieurs grands groupes taxonomiques sont aujourd'hui recensés dans les phosphates du Maroc : les requins et raies, extraordinairement abondants et diversifiés, des poissons osseux, des varanoïdes, des serpents, des mosasauridés, des crocodyliformes, des plésiosaures, des reptiles volants ptérosaures, des dinosaures carnivores et herbivores, des oiseaux, des tortues et des mammifères, explique-t-il.
« Ces fossiles nous racontent une histoire longue d'environ 26 millions d'années. De la fin du Mésozoïque (ère de la vie moyenne) au début du Cénozoïque (ère de la vie récente), ces fossiles offrent une des rares fenêtres sur une période-clé de l'histoire évolutive des vertébrés. Ils nous renseignent aussi sur deux crises biologiques majeures : la crise Crétacé - Tertiaire (C – T) qui a vu la disparition des dinosaures (non-volants), des ptérosaures et des grands reptiles marins et l'émergence des mammifères et la crise du Paléocène - Eocène qui a vu la disparition des mammifères placentaires archaïques et leur remplacement par les ordres modernes », abonde ce passionné du monde mystérieux des dinosaures.
« Ajnabia Odysseus fait partie des dinosaures les plus récents connus, pas loin de la chute du météorite qui sonnera le glas des dinosaures », affirme-t-il. Sa présence en Afrique était, jusqu’à cette « belle et heureuse découverte », pour le moins inimaginable.
« Les dinosaures à becs de canard sont surtout connus en Amérique du Nord et se sont répandus en Amérique du Sud, en Asie et en Europe. A l’époque l'Afrique était un continent insulaire séparé des autres continents par de vastes océans », explique le paléontologue marocain, soulignant qu’avant la découverte d’Ajnabia, il était inimaginable que des « becs de canard » soient en Afrique, car le continent avait sa propre faune qui traduit son histoire géologique.
L’analyse de la distribution biogéographique des dinosaures à bec de canard a montré que les Lambéosaurinés avaient évolué en Amérique du Nord, puis se sont répandus en empruntant un pont terrestre vers l'Asie. De là, ils ont colonisé l'Europe, et enfin l'Afrique.
« Vu le contexte paléogéographique de l’époque, les becs de canard ont dû traverser des centaines de kilomètres dérivant sur des îles flottantes faites de débris de bois ou nageant pour coloniser le continent africain. Ils étaient probablement de bons nageurs comme le laissent supposer leurs grandes queues et leurs pattes puissantes », explique-t-il.
Et de faire observer que les restes d’Ajnabia défient les règles de la distribution des faunes terrestres. Ils montrent que les mers séparant l’Europe de l’Afrique n’étaient pas si infranchissables qu'on le pensait, du moins ne le furent-ils pas pour les ancêtres d’Ajnabia.
Selon le paléontologue, cette nouvelle découverte vient enrichir nos connaissances sur la paléo-biodiversité et jeter la lumière sur l'importance des données paléontologiques du Maroc. «En plus de la réécriture de l’histoire biogéographique d’un groupe de dinosaures emblématique tels les hadrosaures, Ajnabia vient améliorer nos connaissances sur la paléo-biodiversité des dinosaures et enrichit d’un nouveau membre le paléo-bestiaire du Maroc », affirme-t-il.