En effet, le doute s’est peu à peu installé au sujet de la participation ou non des entreprises chinoises. Le Brésil, dont le président est connu pour sa proximité de son homologue américain Donald Trump, devra faire le choix délicat de rassurer les États-Unis ou préserver ses relations avec la Chine, son principal partenaire commercial cette dernière décennie.
La réticence des autorités brésiliennes à trancher sur cette épineuse affaire reflète, selon les observateurs, un désaccord entre deux courants autour du président: l'un pragmatique, favorable au renforcement des liens avec la Chine, et l’autre plutôt idéologique, soucieux de préserver et renforcer le rapprochement avec les États-Unis.
L'installation du réseau 5G, une technologie qualifiée de révolutionnaire, dans un marché gigantesque de plus de 212 millions d’habitants (230 millions de lignes de téléphonie mobile actives), est devenue un enjeu géopolitique en raison des tensions commerciales entre la Chine, leader mondial du secteur, et les États-Unis, qui tentent de juguler l'influence croissante du géant asiatique, accusé d’espionnage par Washington.
L'administration Donald Trump a lancé une campagne internationale pour dissuader les pays, notamment les alliés traditionnels, de permettre aux entreprises chinoises, comme Huawei -4.000 millions de dollars d’investissements au cours de la dernière décennie au Brésil- de participer au déploiement de cette technologie.
Les accusations d'espionnage, que la Chine rejette vigoureusement, ont déjà eu effet au Royaume-Uni, au Japon, en Australie et en Suède. Au Brésil, Bolsonaro avait récemment assuré qu’il déciderait lui-même de l’attribution de ce marché et que dans sa décision il ne prendrait pas seulement en compte les aspects économiques.
Dans son dernier discours devant l’Assemblée générale de l’ONU, il a affirmé que le Brésil "est ouvert" au développement de la technologie 5G avec "n'importe quel partenaire", "respectant" sa "souveraineté" et "la liberté et la protection des données".
La semaine dernière, le conseiller américain à la sécurité, Robert O'Brien, en visite à la tête d’une délégation qui a rencontré Bolsonaro, a proposé un programme d'investissement d'un milliard de dollars dans divers secteurs, une rencontre durant laquelle a été évoquée également la question de la 5G.
L'ambassadeur américain au Brésil, Todd Chapman, a été plus explicite en prévenant récemment qu'une éventuelle entrée de Huawei dans le secteur 5G pourrait avoir des "conséquences" sur les relations bilatérales.
L’intérêt croissant pour le Brésil peut s’expliquer par le fait qu’il est l'un des marchés de télécommunications les plus puissants et les plus prometteurs au monde, avec 227,3 millions de lignes mobiles actives, dont 88% ont accès à Internet. Les utilisateurs mobiles haut débit ayant triplé entre 2012 et 2018.
Cela signifie que 94,6% des habitants sont connectés à Internet et qu'il y a presque autant de téléphones portables avec accès à Internet que le nombre total d'habitants que compte le géant sud-américain. La marge de développement est encore phénoménale, sachant que 30% des foyers n'ont ni ordinateur ni accès à Internet.
Selon l'Association brésilienne de l'Internet (Abranet), la mise en œuvre de la 5G dans le pays devrait générer environ 22,5 milliards de dollars d'affaires entre entreprises jusqu'en 2024, car ils participeront par l’intermédiaire d’opérateurs en lice pour des concessions.
La 5G est ainsi perçue au Brésil comme le principal outil technologique pour le développement du pays: dans cinq ans, la mise en œuvre des réseaux pourrait générer 9 milliards de réais (1,56 milliards de dollars) d'investissements et environ 200.000 emplois directs, pour 12 millions de dollars en impôts et contributions. Dans 10 ans, la technologie devrait contribuer à 2,4% du PIB brésilien.
Dans des déclarations à la presse, le directeur général de Huawei Brésil, Sun Baocheng, a averti qu’un veto sur la Chine retarderait la transformation numérique et augmenterait le coût pour les opérateurs et les clients.
Pour sa part, l'ambassade de Chine au Brésil s'est révoltée contre la visite d'O'Brien, qui l’a accusé de "répandre des mensonges politiques de mauvaise foi" et de promouvoir la thèse de "la menace chinoise " qui reflète "une mentalité de la guerre froide". Il a également rappelé que la Chine est "la plus grande source d'excédent commercial et l'un des principaux investisseurs au Brésil".
L’implémentation de la 5G au Brésil s’est mue en thermomètre des relations du pays sud-américain avec les deux géants économiques qui vivent au rythme d’une concurrence acharnée à tous les plans.