Considéré jusqu’à naguère comme "l'un des pays les moins féministes du monde développé", selon une enquête ayant révélé, en mai dernier, que seulement un Danois sur six se considérait comme féministe, le Danemark semble se débattre avec ses vieux démons.
Tout a commencé, fin août, lorsque Sophie Linde, une animatrice vedette de 31 ans, a surpris le public d’un gala télévisé en racontant comment un haut responsable de la télévision publique lui avait proposé, douze ans plus tôt, de favoriser sa carrière contre un acte sexuel.
Entre choc et incrédulité, remise en cause et déni, les murmures sont devenus brouhaha. Les verrous commencent à sauter, les langues se délient, l’omerta est brisée.
Prise à partie au départ pour son audace, la jeune journaliste à l’origine du mouvement a reçu, dans la foulée, l’appui de ses collègues qui ont publié une lettre de soutien ayant rassemblé plus de 1600 signatures.
Depuis, une avalanche d’histoires se succèdent et ne se ressemblent pas. En l’espace de deux semaines, 322 femmes ont signé une lettre faisant état de sexisme dans la sphère politique danoise, avec 79 témoignages à l’appui, tandis que près du double de cas ont émergé dans les universités du pays.
Au total, 698 femmes se sont manifestées pour signer une lettre dans laquelle elles déclarent avoir elles-mêmes fait l'expérience du sexisme ou en avoir été témoins. Parmi les témoignages figuraient des cas de discrimination dans l'emploi, des commentaires sexistes et des cas de viol.
Plus de 600 médecins ont signé une déclaration exigeant une action contre le sexisme dans les hôpitaux, les cliniques et les universités danoises.
En début de semaine, la réalisatrice oscarisée Susanne Bier, la productrice Vibeke Windeløv, les acteurs Pilou Asbæk, Sofie Gråbøl, Trine Dyrholm, Lars Mikkelsen et 658 autres acteurs de l'industrie cinématographique danoise se sont joints au concert, dénonçant désormais les abus et le sexisme.
Le débat relancé, c’est une boule de neige qui grandit chaque jour un peu plus dans un pays qui jouit d’une image extérieure d’être un paradis de l’égalité des sexes, en partie en raison de son congé parental généreux.
Les témoignages de sexisme, relayés et amplifiés par les médias, ont particulièrement écorné l’image des hommes politiques, le dernier en date à en payer les frais étant le dirigeant du parti Radikale, Morten Østergaard, forcé à démissionner après avoir reconnu des attouchements et un cas de viol contre trois femmes de son parti.
La fin du mandat de six ans d’Østergaard à la tête du parti de centre-gauche, un allié influent des Sociaux-démocrates au pouvoir, reflète l’ampleur et l’élan du débat en cours au Danemark sur le sexisme et le harcèlement sexuel sur le lieu de travail.
Les témoignages à charge n’ont pas épargné le ministre des Affaires étrangères, Jeppe Kofod, qui a reconnu une relation sexuelle avec une adolescente de 15 ans, en 2008, au moment où il était député au Parlement danois et porte-parole des Sociaux-démocrates pour les affaires étrangères.
Kofod s’était excusé et a démissionné de son poste, mais l’affaire n’a cependant pas nui à sa carrière, puisqu’il est ensuite devenu membre du Parlement européen avant d’être nommé ministre des Affaires étrangères l’année dernière.
Alors que chaque jour apporte son lot d’histoires, les principales personnalités politiques ont réagi, pour la plupart, en convenant que des mesures doivent être prises.
Jakob Ellemann-Jensen, chef du parti d'opposition libéral (Venstre), a qualifié les témoignages de "choquants", tandis que la Première ministre, Mette Frederiksen, a reconnu que son parti, les Sociaux-démocrates, a manqué à sa responsabilité en ce qui concerne une culture de sexisme.
Henriette Laursen, directrice de Kvinfo, un centre de recherche sur le genre, a assuré que le sexisme "est un vrai problème qui est un problème pour nous tous", appelant au renforcement de lois protégeant les employés contre le harcèlement sexuel.