Présenté par la présidente de l'exécutif européen, Ursula von der Leyen, comme "un nouveau départ" pour l'UE face au défi migratoire qui "reflète un équilibre juste et raisonnable entre la responsabilité et la solidarité entre les États membres", ce nouveau pacte est pourtant loin de faire l'unanimité.
La proposition de la Commission mise notamment sur un durcissement des règles d'accueil, un renforcement des contrôles aux frontières, ainsi qu'un filtrage préalable à l'entrée incluant l'identification de toutes les personnes qui franchissent sans autorisation les frontières extérieures de l'UE. Aux empreintes digitales aujourd'hui collectées viendraient s'ajouter des contrôles "de santé et de sécurité", afin de permettre un filtrage rigoureux qui vise à limiter le nombre de migrants entrant dans l’UE.
Elle révise également la règle consistant à confier au premier pays d'entrée d'un migrant dans l'UE la responsabilité de traiter sa demande d'asile, en vertu du "règlement Dublin".
Selon les nouvelles mesures présentées par l'exécutif européen, le pays responsable de la demande pourra être celui où un migrant a des liens familiaux, où il a travaillé ou étudié, ou alors le pays lui ayant délivré un visa. Sinon, les pays de première arrivée resteront chargés de la demande et un Etat soumis à une "pression" migratoire pourra demander l'activation d'un "mécanisme de solidarité obligatoire".
Dans le cadre de ce mécanisme visant à garantir "un partage équitable des responsabilités et la solidarité", la Commission européenne a renoncé à demander à chaque État membre d’accueillir obligatoirement un certain nombre de demandeurs d’asile sur son territoire en cas de forte pression sur les pays de première entrée. Au lieu de cela, elle propose un système "de contributions flexibles" qui permet aux États membres de choisir entre la relocalisation de demandeurs d'asile depuis le pays de première entrée, la prise en charge du renvoi de ceux qui se sont vu refuser l’asile, ou encore un soutien financier sur le terrain aux pays européens qui subissent une plus forte pression migratoire.
Face à l'obstination de plusieurs États membres, notamment les pays du "groupe de Visegrad" (Pologne, Hongrie, Slovaquie, Tchéquie) ainsi que d’autres États membres comme l’Autriche, à refuser le système de "relocalisation" obligatoire, instauré à l’été 2015 pour aider les pays en première ligne des arrivées des migrants comme la Grèce et l’Italie, la Commission européenne a fini par lâcher prise, en mettant en place ce nouveau "mécanisme de solidarité" qui a provoqué l'ire de nombre d'Organisations non gouvernementales.
C'est le cas du Centre national de coopération au développement (CNCD), une ONG belge qui insiste que ce mécanisme doit être "au service de l’accueil et non couplé au retour".
"La possibilité pour les États européens de choisir à la carte soit la relocalisation, le « parrainage » du retour des déboutés ou autre contribution financière n’est pas équitable. La répartition solidaire de l’accueil doit être permanente et ne pas être actionnée uniquement en cas « d’afflux massif » aux frontières d’un État membre comme le recommande la Commission. Il est important que tous les États membres développent des systèmes d’accueil de qualité et que l’UE s’oriente vers une protection plus unifiée", souligne le CNCD.
"Le changement annoncé du Règlement de Dublin l’est juste de nom, car les premiers pays d’entrée resteront responsables des nouveaux arrivés. Le focus doit être mis sur les alternatives à la détention et non sur l’usage systématique de l’enfermement aux frontières", ajoute-t-on.
Même son de cloche pour l'ONG "Oxfam" qui estime qu'à force de rechercher le consensus, la Commission européenne "cède devant les gouvernements anti-immigration".
Selon Oxfam, les nouvelles propositions de l'exécutif européen "vont probablement reproduire la situation abominable à laquelle nous assistons depuis des années dans les hotspots de Grèce", ces lieux censés sélectionner les candidats à l’asile où "des familles entières se retrouvent de facto en détention".
"Nous avons à plusieurs reprises dénoncé auprès des leaders européens le coût humain de la politique outrageante de l'enfermement, mais rien ne semble conduire à un changement radical de cette politique", déplore, de son côté, Christos Christou, président international de Médecins sans frontières.
Les mêmes critiques ont été formulées par les députés européens qui devraient donner leur feu vert au pacte proposé par la Commission, tout comme le Conseil de l'UE, avant son entrée en vigueur.
"Plutôt que d'accueillir ceux qui en ont besoin et de les relocaliser entre les États membres, le concept de solidarité de l'UE sera exploité avec un effort collectif pour expulser et empêcher les gens d'entrer - les États membres se parrainant les uns les autres dans le processus d'expulsion", fustige le groupe de la Gauche unitaire européenne et verte nordique au Parlement européen.
Pour sa part, le groupe des Verts dénonce le fait que le pacte migratoire de l'UE repose sur un système à la fois "inhumain" et "inefficace", qui aggrave les dysfonctionnements du règlement de Dublin et continue de faire peser la responsabilité des procédures sur la Grèce, l’Italie, l’Espagne et Malte.
Quant aux États membres de l'UE, divisés depuis la crise migratoire de 2015 sur le principe de solidarité et sur les quotas obligatoires d'accueil des migrants , ils traînent toujours leurs divergences sur la démarche à suivre pour gérer cette question délicate.
Si l’Allemagne et la France, se sont rapidement exprimés en faveur des propositions de la Commission, la Grèce s'est montrée plutôt favorable au pacte, tout en insistant sur les relocalisations obligatoires et sur la nécessité de garantir un équilibre entre la responsabilité portée par les pays de première ligne, y compris bien sûr les relocalisations.
L’Espagne a souligné, de son côté, que la proposition de la Commission, ne reflète pas la principale demande du pays, à savoir "un mécanisme de solidarité obligatoire" en Europe pour alléger la pression et la lourde charge qui pèse sur les pays d’entrée, et impose de nouvelles procédures aux frontières que le gouvernement espagnol ne partage pas.
Les pays du Visegrad ainsi que l’Autriche et la Slovénie demeurent, quant à eux, intransigeants sur leur refus de l’idée de relocalisation obligatoire, réitérant leur opposition à l’appel à la solidarité lancé par l’Europe du Sud.
La réforme migratoire présentée par la Commission européenne n'est pas une avancée, a estimé le Premier ministre hongrois Viktor Orban, tandis que son homologue tchèque Andrej Babis a souligné que les quatre pays du Visegrad étaient d'avis que les migrants devaient être bloqués et renvoyés chez eux.
A coup sûr, le nouveau pacte de l'UE sur la migration et l'asile va encore mettre à l'épreuve l'unité de l'Union déjà fragilisée par une succession de crises et par des divisions qui continuent de s'accentuer.