Dans le pays, une partie importante de l'épargne des ménages est libellée en dollar américain. Pour nombre d'Argentins, épargner en pesos implique une perte évidente d'argent. Ce rapport chaleureux avec le dollar ne date pas d'aujourd'hui : il remonte à des dizaines d'années.
L'inflation, la perte de valeur de la monnaie et la fuite de capitaux pénalisent le peso dans une économie qui se bat bec et ongles pour sauver le régime monétaire. En raison de la dépréciation du peso argentin, un dollar américain coûte aujourd’hui trois fois plus cher qu’il y a juste quelques années.
"Avec la chute sans cesse de la valeur de notre monnaie, le seul refuge dont je dispose pour préserver mon épargne est une monnaie beaucoup plus stable: le dollar", a indiqué, dans une déclaration à la MAP, Nahuel Leandro, un citoyen argentin qui fait quasi tous ses économies en dollar américain, notant qu'il cherche simplement à éviter que son argent perde de valeur à cause de l'inflation.
"Dans le temps, mes parents ont déjà essayé d'épargner en pesos, mais tout leur argent ne vaut rien aujourd'hui", a précisé ce jeune homme de 26 ans, relevant que le peso remplit parfaitement sa fonction transactionnelle pour les achats courants et à court terme.
En Argentine comme dans plusieurs pays d’Amérique latine, il est courant d'avoir un compte libellé en dollars, mais il est nécessaire de prendre en compte les liasses de billets en dollars que les citoyens conservent dans leurs propriétés, ou sur des comptes à l'étranger, pour savoir le pourcentage exacte de l'épargne en devises.
Pour freiner l'hémorragie de réserves en billet vert et contenir la valeur de la monnaie locale, le gouvernement argentin a adopté une série de mesures comprenant un contrôle accru des changes, notamment la taxation à hauteur de 30% sur les achats de devises étrangères dans un but d'augmenter les réserves internationales du pays, outre la fixation du plafond des retraits à 200 dollars par mois et par personne.
Nahuel qui a droit seulement à 200 dollars par mois, préfère conserver ses économies dans son appartement que de les déposer dans une banque. "L'idée de garder mon argent dans une banque m'angoisse. Je risque de ne plus récupérer mon épargne", a-t-il dit.
Plusieurs Argentins gardent de mauvais souvenirs du gel des comptes bancaires provoqué par "le Corralito" : comptes bloqués, guichets automatiques vides, dollars disparus, chèques refusés, ...
En 2001, pour lutter contre la fuite des capitaux, le gouvernement argentin avait gelé pendant une année les avoirs bancaires des épargnants, limité les retraits d'argent à 250 pesos par semaine et interdit tout envoi de fonds à l'extérieur, c'est le "corralito" ("petit enclos"). Cette mesure a provoqué la panique, chacun tentant de retirer ses dépôts des banques, depuis, de nombre d'entre eux placent leurs dollars hors du pays.
Selon des analystes, la crise de 2001 et le "corralito" sont "fresh" dans la mémoire de plusieurs Argentins terrassés par les crises économiques à répétition, qui ne font plus confiance aux banques.
L'angoisse face également à la conversion forcée des comptes libellés en dollars en peso règne dans les esprits des Argentins, c'est pour cette raison qu'ils préfèrent garder leur argent chez eux (dans leurs coffres-forts ou dans des cachettes). Or, le fait d'acheter 200 dollars par mois génère une très forte demande de la part des petits épargnants et l'appétit pour le billet vert augmente davantage.
Dans son dernier rapport sur la politique monétaire, la Banque Centrale d'Argentine (BCRA) a relevé que depuis 2002, un cadre de politiques macro et micro-prudentielles a été mis en place pour que le système financier gère de manière adéquate les risques associés aux épisodes de tensions financières.
"Vers la fin de 2019, l'économie était confrontée à une grave crise de la balance des paiements et de la dette publique, à une forte dépréciation de la monnaie nationale et, par conséquent, à un approfondissement de la récession avec une accélération de l'inflation. Face à ce scénario, le gouvernement national a adopté un ensemble de mesures destinées pour faire face à la crise et stabiliser la macroéconomie", note le rapport du mois d'août.
Dans ce sens, la Banque centrale a défini une série de lignes directrices, mettant en évidence celles faisant référence aux taux d'intérêt et de change, poursuit le rapport.
La BCRA considère que le niveau du taux d'intérêt réel doit préserver la stabilité financière et de change, et doit être compatible avec le financement de la production et la construction d'une courbe de rendement à plus long terme, favorisant l'épargne en monnaie nationale.
Parallèlement, un régime de taux de change flottant administré a été choisi, dans le but d'éviter que des fluctuations prononcées n'entraînent des effets négatifs sur l'inflation et la croissance.
La BCRA a assuré également dans son rapport qu'elle agira avec "tous ses outils" face à tout excès de liquidité qui pourrait émerger dans les mois à venir, admettant que "la gestion de la politique monétaire en l'urgence a nécessité une augmentation significative des liquidités".
"La croissance observée de la demande de monnaie a contribué à absorber une part importante des ressources consacrées à l'économie, une dynamique qui se renforcera une fois la reprise économique consolidée", note le rapport.
Pour certains Argentins, l'épargne en billet vert reste une mesure de protection, probablement spéculative, à quelques racines historiques. L'objectif définitif serait de vaincre l'inflation et de regagner confiance en la monnaie locale en s'appuyant également sur la responsabilité individuelle, le sens de l'intérêt collectif et la coopération de tous les acteurs concernés.