Certes, c'est un retour à la compétition à huis clos et dans des conditions sanitaires strictes, mais le spectacle est toujours au rendez-vous au plus grand bonheur des supporters qui ont dû prendre leur mal en patience avant de renouer avec la magie du football.
Devant leur téléviseur, ils ne peuvent que se délecter du beau jeu dont ils ont été privés pendant près de trois mois, se régaler des prouesses footballistiques de leurs stars préférées et savourer des moments d'émotion inégalables.
Pour faire oublier aux spectateurs l'absence de public dans les stades, les diffuseurs TV et les instances du football ne lésinent pas sur les moyens, faisant montre d'ingéniosité pour mettre en place une ambiance virtuelle dans les stades.
Pancartes à l'effigie des fans posées sur les sièges en tribune, effets sonores et chants de supporters préenregistrés, effets spéciaux pour donner l'impression d'avoir un public dans les gradins grâce à des images virtuelles...les idées ne manquent pas pour recréer l'univers footballistique de l'avant-Covid et les fans semblent plutôt conquis.
Si la reprise des championnats allemand, espagnol, italien et anglais, entre autres, a fait jubiler les fans du ballon rond, cette allégresse ne doit pas occulter l'impact économique de la pandémie du coronavirus sur le football professionnel dans le vieux continent.
Bien plus qu'un sport, le football, qui est devenu ces dernières années un secteur économique à part entière, a été touché de plein fouet par la crise du Covid-19.
Dans une déclaration à la MAP, Thomas Peeters, économiste du sport à l'Université d'Anvers, souligne que les répercussions de la crise du coronavirus sur le football européen peuvent être "larges", notant que malgré la reprise de la plupart des championnats européens, la tenue des matchs à huis clos va engendrer d'importantes pertes pour les clubs et les fédérations en termes de billetterie et d'autres revenus commerciaux.
"L’impact sera plus sévère pour les ligues de football en Belgique et aux Pays-bas qui n’ont pas des contrats médiatiques comme l’Angleterre ou l’Italie", relève-t-il.
De son côté, Luc Arrondel, économiste du sport en France, souligne qu'il est difficile de chiffrer précisément les pertes de revenus induites par la crise sanitaire pour le football européen.
"Le cabinet KPMG estimait ces pertes à environ 4 milliards d'euros en mars, tandis que le cabinet Deloitte les chiffre à 2 milliards dans une étude publiée courant juin", indique M. Arrondel à la MAP, citant l'exemple de la France qui a renoncé à reprendre son championnat, tout comme la Belgique et les Pays-Bas, et pour laquelle les estimations du cabinet KPMG retenait les chiffres suivants pour la Ligue 1 : entre 50 et 60 millions d’euros de pertes pour la billetterie, environ 210 millions pour les droits TV et entre 100 et 140 millions pour les revenus commerciaux.
Selon M. Arrondel, directeur de recherche au Centre national de recherche scientifique en France (CNRS) et membre de l’Ecole d’économie de Paris, si l’on retient une perte globale de 350 millions d’euros, les revenus seraient en baisse d’environ 18,5% par rapport à ceux de la saison 2018-2019.
En prenant les charges de 2018-2019 et les budgets diminués pour 2019-2020, ajoute-t-il, on estime que les pertes sur l’excédent brut d'exploitation seraient plus du double de celles de la saison précédente (environ 650 millions d’euros au lieu de 300 millions).
Au niveau des bilans, certaines créances sur les transferts pourraient aussi ne pas être payées à l’exercice suivant et certains actifs intangibles (les joueurs) se déprécier, explique-t-il, estimant que certains clubs français vont vraisemblablement voir aussi la source de revenus qui assure leur équilibre financier diminuer, à savoir "le trading des joueurs".
A ses yeux, même si les faillites dans le foot sont relativement rares, le football français risque néanmoins de subir une vague de difficultés après la crise sanitaire, mais "tous les clubs ne seront pas logés à la même enseigne puisque la gestion de la crise dépendra également des réactions de leur propriétaire : les motivations de certains autorisent parfois des contraintes budgétaires « molles » qui pourraient permettre, en injectant des fonds, de passer plus facilement le cap".
Pour tenter de sauver les meubles, M. Arrondel relève que l'assemblée générale de la LFP, la Ligue de Football Professionnel en France, va contracter un prêt garanti par l’État de 224,5 millions d'euros qui seront répartis entre les clubs français. De plus, l’augmentation des droits TV permettra à tous les clubs de Ligue 1 d’empocher environ 20 millions d’euros supplémentaires à partir de la saison 2020-2021.
Alors que le football européen a basculé ces dernières années dans la démesure financière avec une flambée sans précédent des prix des joueurs sur le marché des transferts, une hausse vertigineuse des revenus grâce aux droits télévisés et des investissements colossaux, la crise du coronavirus a soufflé un air d'incertitude sur le monde du ballon rond laissant présager une remise en question du modèle du foot-business.
Selon Luc Arrondel, le football "post-moderne" est une économie en forte croissance ayant réussi à intéresser, pour des raisons diverses, les médias, les sponsors, les milliardaires, et même certains États, tandis que les grands clubs européens (voire nord-américains) n’ont jamais été autant valorisés, néanmoins, face à la crise actuelle, l'idée serait d'étudier ce qui fonctionne bien actuellement dans la sphère du football et réfléchir "plus modestement à améliorer certaines choses".
Il s'agit, précise-t-il, de revoir la gestion du risque de faillite des clubs, le nombre de prêts de joueurs, ou encore les relations avec les supporters.
Le chercheur estime, par ailleurs, que la pandémie ne sera pas à l'origine de changements structurels dans le football européen, mais "peut-être en accélérera-t-elle tout au plus le processus".
"Nous sommes peut-être aujourd’hui au début d’une nouvelle période historique du football que l’on pourrait caractériser par des inégalités économiques croissantes, entre clubs et entre championnats, avec pour conséquences des championnats domestiques et des compétitions européennes dominées par quelques clubs plus riches que les autres, l’arrivée de nouveaux types d’investisseurs à l’image des fonds d’investissement et des propriétaires de franchises américaines", résume-t-il.
Si la crise du coronavirus a d'abord nourri les espoirs d'un modèle de football plus équitable et solidaire, les craintes grandissent désormais quant à une exacerbation des inégalités et des déséquilibres sportifs avec toujours les clubs les plus riches qui gagnent le gros lot et les moins fortunés qui doivent lutter pour leur survie.