Mohamed Karim, Chef de Département d'Economie à la Faculté des Sciences Juridiques Economiques et Sociales - Salé et Ancien Inspecteur Divisionnaire au ministère des Finances apporte un éclairage sur ce nouveau dispositif que le Maroc s'apprête à lancer, avec en perspective l'activation de son plan de relance économique post-Covid.
Question 1. Tout d’abord, pourriez-vous nous expliquer ce qu'est une Loi de finance rectificative ?
Je précise à ce titre que le budget annuel est constitué des recettes, des dépenses et du financement (emprunts) qui finance l’écart entre les recettes et les dépenses. La loi de finances quant à elle comporte deux parties : la première partie à caractère juridique comportant des dispositions juridiques pour percevoir des impôts, exécuter des dépenses ou s’endetter … La deuxième partie, par contre, est constituée du budget proprement dit, qui est un ensemble de tableaux chiffrés en fin du document budgétaire.
La loi de finances rectificative consiste en la correction du budget annuel promulgué aussi au Parlement. Il s’agit d’une modification des dispositions juridiques et des enveloppes. Il faut noter aussi que le délai de discussion de la loi rectificative en vertu de la loi organique des finances de 2015 est fixé à 15 jours seulement et sa discussion est moins contraignante que le budget initial.
Question 2. A lumière des répercussions de la pandémie de Covid-19 sur l’économie nationale, comment estimez-vous le choix du gouvernement en faveur du dépôt d’une Loi de finances rectificative ?
A titre de rappel, depuis 30 ans, aucune loi de finances rectificative n’a été déposée, à un moment où plusieurs pays européens ou africains, membres de l’Union Monétaire Ouest Africaine, procèdent régulièrement au dépôt des projets de lois de finances rectificatives. Parfois deux fois par an.
Au Maroc, nous citons les occasions suivantes qui ont justifié le dépôt de projets de loi de finances rectificatives :
- Report de la privatisation de 35% des actions de Itissalat Al Maghrib en mini budget 1999-2000 qui devrait rapporter 21 milliards de dirhams et qui a rapporté en début 2001 réellement 23,3 milliards de dirhams. La non correction budgétaire s’est traduite par une accumulation d’arriérés de paiement de 13 milliards de dirhams (dette à l’égard de l’Etat) à fin 2000.
- Plusieurs années, comme les années 2015 et 2016, ont connu une transgression d’une ou plusieurs hypothèses qui sou-tendent la loi de finances de l’année comme l’envolée des prix du baril du pétrole au delà de 100 milliards de dollars contre une hypothèse initiale se situant entre 60 dollars et 70 dollars sur le marché de Rotterdam. Ces hypothèses impactaient l’enveloppe des crédits alloués à la subvention des produits pétroliers. Idem pour le taux de croissance économique qui était négatif en 1995 sous l’effet de la sécheresse sévère.
- D’autres années ont connu des plus values fiscales par rapport à la prévision notamment au titre d’impôts sur les sociétés de plus de 7 milliards de dirhams.
Globalement lorsqu’une ou plusieurs hypothèses sont transgressées ou lorsque des mouvements de crédits d’annulation ou de reports importants surgissent, il faudrait corriger le budget initial.
Revenons à cette année 2020, presque toutes les raisons citées sont réunies en une année. L’hypothèse du taux de croissance est révisée à la baisse -2% à -3% (HCP, CMC, FMI ou l’Agence de notation Fitch rating). La sécheresse a poussé à la révision des estimations de la récolte céréalière à 30 quintaux au lieu de 70 quintaux prévus initialement. Le prix du baril s’est effondré à moins de 35 dollars contre une hypothèse de 60 dollars le baril. La demande étrangère qui s’est adressée au Maroc s’est réduite. Les réserves de change ont baissé, ce qui a poussé le gouvernement à mobiliser les fonds de la ligne de précaution et de liquidité (LPL) du FMI pour un montant de 30 milliards de dirhams remboursable sur 5 ans, avec une période de grâce de 3 ans pour pouvoir assurer les règlements en devises avec l’étranger.
Du côté des crédits inscrits en Loi de finances initiale, une réaffectation d’un montant de 10 milliards de dirhams des budgets ministériels (matériel et divers et investissements) est opérée, exception faite de la santé, vers la Fonds Spécial pour la lutte contre la pandémie Covid-19. Tous ces facteurs ont chamboulé le profil initial du budget 2020.
Question 3. Dans quelle mesure le recours à une Loi de finances rectificative pourrait-il stimuler notre économie et contribuer à la mise en œuvre d’un plan de relance efficace pour sortir de cette crise ?
Le budget comme vous le savez n’est qu’un moyen « input » pour mener des politiques publiques prioritaires au cours d’une année civile. Le budget doit donc servir à réaliser des produits « outputs » et puis des résultats « outcomes ». Avec la pandémie de Covid-19, les politiques publiques retenues initialement en loi de finances 2020 ont changé peu ou pro.
La pandémie a créé à notre sens, un choc dans l’organisation publique qui a suscité une résilience et une adaptabilité réussie. A mon sens et à l’unanimité, le Maroc sous la conduite de Sa Majesté le Roi, a pu transformer les risques en opportunités.
Les priorités aujourd’hui sont confirmés en faveur de ce que j’ai toujours appelé les moteurs de croissance à savoir : La santé, l’éducation, la recherche scientifique, la gouvernance, l’économie numérique. Viennent après la promotion et la protection de l’emploi et la lutte contre la pauvreté et la vulnérabilité dans le secteur formel et informel…En définitif, la Loi de finances rectificative servira à orienter les « inputs » vers les moteurs de croissance cités.
Pour ce faire et en liaison avec votre question pertinente, j’estime que la politique budgétaire portée par le budget rectificatif en cours pour l’année 2020 doit relâcher la règle de 3% (-3.5%) du déficit budgétaire ; la politique budgétaire doit suivre le cycle. En d’autres termes, nous suggérons au gouvernement de rester sur "une politique expansionniste" pour soutenir la demande intérieure, surtout en cette période de crise comme c’était le cas en lois de finances pour l’année 2011 et 2012.
En outre, au niveau de la politique monétaire, Bank Al-Maghrib pourrait continuer à financer le secteur privé par la baisse du taux d’intérêt directeur pour encourager la demande des crédits et relancer l’activité et procéder surtout, avec dosage correct, à la création monétaire (planche à billet) pour permettre la liquidité bancaire.