Cet ancien conseiller auprès de plusieurs sociétés internationales d'investissement a, par ailleurs, livré son analyse de la riposte du Maroc pour endiguer la propagation du virus et en atténuer les effets socio-économiques tout en initiant une réponse concertée au niveau du continent.
1 - Le FMI a décrit la conjoncture actuelle comme la pire récession économique depuis la Grande Dépression. Comment évaluez-vous l'ampleur et l'impact de l'effondrement soudain de l'activité économique?
L'ampleur du COVID-19 est énorme. À la différence des crises récentes, celle-ci est plus profonde, plus massive et plus intense. Nous sommes face à un ennemi invisible, les gouvernements n'étant absolument pas préparés à relever les défis imposés. L'impact le plus significatif de la pandémie est également l'incertitude qu'il a générée dans le monde. Nous ne savons même pas si les mesures de confinement adoptées sont véritablement efficaces ou si le virus pourrait devenir plus robuste. Quant aux politiques économiques mises en œuvre, elles utilisent des formules précédentes pour faire face aux pandémies sans tenir compte du fait que le comportement humain doit changer et nous devons changer les modèles économiques sous lesquels nous opérons. Nous avons trop de gens dans le monde vivant au jour le jour. L'incapacité d'épargne est une triste réalité pour les personnes qui ont des difficultés à boucler les fins de mois. Les gouvernements sont devenus trop coûteux. C'est pourquoi l'ampleur est énorme.
Enfin, nous ne savons toujours pas même si la deuxième vague serait supérieure à la première. Ce niveau d'incertitude entraîne un recul des investissements, une baisse de l'esprit d'entreprise et une moindre volonté de prendre des risques.
Ce scénario présente la tempête parfaite pour étirer la courbe de récession d'un V à un U (NDLR - Les économistes projettent des scénarios de la reprise post-COVID-19: le cas de figure le plus optimiste est celui d'une courbe «en V» basé sur une relance rapide dès la levée du confinement. Le rebond «en U» est par contre mois optimiste et ne table sur une reprise qu'à la fin de l'année ou début 2021).
Pour prévenir une telle situation, les gouvernements doivent déréglementer et faciliter les affaires. La Chine doit reprendre sa consommation. Le monde dépend de la consommation chinoise pour stimuler et relancer l'économie mondiale. Seule la Chine peut le faire car elle a actuellement la taille et l'argent nécessaires pour le faire. Au lieu de blâmer la Chine ou d'essayer de l'utiliser comme bouc émissaire de l'incompétence, œuvrons pour une stimulation de la consommation intérieure afin que l'économie mondiale recommence à bouger.
2- La pandémie est venue rappeler que l'unité politique et économique de base est toujours l'État-nation. De nombreuses grandes puissances se concentrent sur leur survie. Anticipez-vous un changement de la mondialisation économique et de l'actuel système financier interconnecté?
Le coronavirus est devenu un problème politique et non un problème de santé. Il y a une rivalité de pouvoir entre les États-Unis et la Chine pour le leadership mondial. En conséquence, nous avons observé une campagne de diffamation impliquant toutes sortes de théories du complot. Le calendrier électoral aux États-Unis a sans aucun doute exacerbé davantage la situation. Le fait que la fermeture des frontières ait été l'une des premières politiques adoptées, avec une «stratégie de Moi-d'abord», les Etats se sont rendus compte des limites d'une dépendance de stratégies juste-à-temps pour les biens dont ils ont besoin et que les défaillances des chaînes d'approvisionnement mondiales peuvent être extrêmement perturbatrices.
Néanmoins, la mondialisation n'est pas un problème. Le vrai problème est que les gouvernements ne sont pas prêts à affronter des crises de taille. Une analyse plus approfondie de l'histoire apporterait des preuves empiriques que les pandémies sont un facteur constant dans l'histoire de l'humanité. Cependant, les gouvernements se sont perdus dans des débats politiques domestiques inutiles et ont abandonné leurs fonctions les plus importantes qui garantiraient le bien-être de leurs citoyens. Cette crise sanitaire est la preuve la plus patente de cette situation.
Les pays riches devraient pouvoir récupérer plus rapidement. L'espoir est que leur reprise rapide se répercute et aide les moins riches à relancer leur économie. Le plus grand défi est qu'en temps de crise, les moins préparés et les plus nécessiteux sont ceux qui souffriront le plus.
3 - La pandémie a paralysé les chaînes d'approvisionnement mondiales. Pensez-vous qu'une telle situation servirait de rappel aux pays afin d'assurer une plus grande autonomie?
L'autonomie et l'autosuffisance sont des politiques essentielles pour garantir la capacité de réponse en cas d'urgence. Cependant, peu de pays auront la capacité de produire à prix compétitifs. Cela dépendra des pays s'ils peuvent rendre leurs industries nationales suffisamment compétitives pour être être à la hauteur de la concurrence à l'échelle internationale. Sinon, nous courons le risque de voir les pays procéder à une substitution des importations et tous les gains que nous avons réalisés grâce au commerce mondial devraient être anéanties. La mondialisation et le libre-échange ont apporté bien plus d'avantages que les inconvénients actuellement liées au coronavirus.
Les pays devraient avoir des stocks de produits. Ils devraient également être en mesure d'élaborer des plans pour adapter certaines entreprises pour produire les articles en cas de besoin. Cependant, le commerce reste le meilleur moyen pour les pays de progresser sur le plan économique et de s'intégrer davantage dans le monde.
4 - Quel regard portez-vous sur la riposte marocaine à cette crisé inédite et les efforts pour initier une approche africaine pour en atténuer l'impact?
Le Roi Mohammed VI a de nouveau fourni le leadership nécessaire pour faire face à une crise. Les gouvernements ont besoin d'une voix et d'une stratégie unifiées lorsqu'ils traitent de situations d'une telle ampleur. Le fonds national d'urgence pour les dépenses de santé est un choix judicieux et la constitution de ce fonds sera essentielle lorsque de nouvelles pandémies surviendront. La grippe espagnole a tué plus de personnes de faim que de fièvre. Par conséquent, des mesures économiques pour atténuer l'impact de telles crises sont essentielles pour surmonter de telles situations. Les mesures qui favorisent la stabilité économique au niveau national assureront la stabilité régionale et devraient être émulées dans la région pour faire en sorte que la dévastation causée par COVID-19 soit maîtrisée.
5 - Enfin, comment tirer parti de la technologie à l'avenir? Quel impact notamment sur le travail à domicile ou encore l'enseignement à distance?
Le coronavirus a accéléré plusieurs choses: le travail à domicile et l'enseignement en ligne. Les universités ont été lentes à adopter l'enseignement à distance. Les outils en ligne ont changé les rôles des enseignants, qui devraient désormais agir davantage comme des entraîneurs et des mentors que des enseignants et des professeurs traditionnels, fournissant des conseils, le cas échéant, et des commentaires pour corriger les perspectives et accroître l'apprentissage. Internet a fourni un meilleur accès à un réservoir de connaissances et à des capacités jamais connues dans l'histoire de l'humanité. Il permet également aux étudiants d'interagir plus intensément les uns avec les autres et d'améliorer leur créativité. Les professeurs, d'autre part, ont été contraints de réévaluer leurs techniques d'enseignement afin de s'assurer que les cours sont intéressants et ingénieux. Les bureaux à domicile existent depuis un certain temps, mais pas autant que possible. Les entreprises ont appris qu'elles peuvent réduire les coûts et stimuler une meilleure productivité des travailleurs lorsqu'ils effectuent des activités de bureau à domicile. De nombreuses entreprises vont certainement revoir leurs stratégies, réduisant ainsi la taille des bureaux et autres coûts opérationnels. Ainsi, les activités en ligne devraient augmenter dans la fonctionnalité, en particulier si elles peuvent améliorer le niveau d'interaction et favoriser une communication plus fluide.