Certes, les fidèles accueillent avec joie le mois sacré et observent en toute spiritualité le jeûne, défiant la vague de chaleur qui s’abat ces jours-ci sur le pays. Toutefois les scènes des rues marchandes, les échoppes emplies, les étals et les soirées aux mille couleurs font défaut cette année en raison des restrictions imposées pour freiner la propagation du Covid-19.
Le quotidien ramadanesque des familles indiennes est, sans nul doute, différent de celui des précédents ramadan en raison du risque élevé de contagion, notamment dans les lieux connaissant une forte affluence.
Ainsi, la grande mosquée Jamaa Masjid, lieu de culte emblématique au cœur de l’ancien Delhi, n’est pas près de rouvrir de sitôt, de même que le Fort Rouge, une forteresse d'architecture moghole de Delhi et l'une des attractions touristiques les plus populaires d'Inde.
"En attendant que le coronavirus soit éradiqué, j’appelle les citoyens à prier à domicile, à respecter les mesures de précaution pour se protéger contre la pandémie et suivre les instructions émises par le ministère de la Santé", a dans ce sens lancé l’imam de Jamaa Masjid, Syed Ahmed Bukhari dans un message vidéo.
Bâti en 1644 sous le règne de l'empereur moghol Shâh Jahân, Jamaa Masjid, qui peut accueillir jusqu’à 25.000 fidèles, connaissait une grande affluence tout au long du mois béni, en particulier à partir de la rupture du jeûne et lors de la prière des tarawihs.
De même, l’éminente institution islamique, Jamiat Ulema-e-Hind (JUH), a exhorté les musulmans à respecter les directives du confinement, à effectuer tous les rituels religieux à l'intérieur de leurs maisons et à se limiter au strict cercle familial.
En temps normal, les rues à proximité de Jama Masjid sont bondées, les senteurs de la soupe haleem, du poulet biryani ou encore de brochettes flottent dans l'air et des milliers de personnes se pressent pour faire du shopping, siroter un Chai, thé indien au lait et aux épices, une citronnade ou un jus de canne à sucre, tandis que d’autres optent pour une promenade nocturne pour profiter de l’air frais des nuits ramadanesques.
Mais cette année le Ramadan à un gout très particulier. L’état d’urgence sanitaire a quasiment paralysé le Chandni Chowk, l'un des marchés les plus anciens et les plus achalandés à Delhi où se déploie un labyrinthique lacis de ruelles animées avec des commerces qui regorgent d'épices, de fruits secs, de bijoux et de saris aux couleurs chatoyantes.
Côté denrées alimentaires, le marché est bien approvisionné bien que beaucoup de 'Rozedars' (jeûneurs en langue ourdou) se sont plaints de la pénurie de certains produits tels que Khajla, un aliment de base sous forme de vermicelle servi principalement pendant la période du Sehour.
Pour bien des Musulmans, indiens comme étrangers, l’ambiance de piété et de recueillement propre au mois du Ramadan ou "Ramazan", comme il est prononcé en langues locales, fait défaut cette année et les rassemblements religieux sont interdits comme les Iftars collectifs. Toutefois le statu-quo n’empêche nullement de vivre avec la petite famille chez soi l’atmosphère festive du mois sacré.
Outre les rituels religieux, le mois du Ramadan est l’occasion pour tant d’Indiens de mener des actions de charité et consacrer les valeurs de solidarité et de partage que prône l’Islam.
Comme plusieurs bénévoles qui donnent de leur temps, de leur énergie et de leur argent en faveur d’actions sociales, Zahra Begum, qui nourrissait des personnes démunies aux environs de Jama Masjid, a envoyé cette année des rations à des ONG pour distribution.
C'est le cas aussi d'Irtiza Quraishi, fondateur de l'ONG Marham, basée à Delhi, qui a lancé un appel sur les réseaux sociaux exhortant les gens à aider les familles nécessiteuses dans un esprit de solidarité, d'abnégation et d’altruisme.
Les actions caritatives portées par les différentes instances musulmanes en Inde se multiplient pour venir en aide à toute personne nécessiteuse, abstraction faite de son appartenance religieuse, ethnique ou linguistique.
Le but étant aussi de combler le fossé menaçant la mosaïque culturelle qui caractérise le pays et de lutter contre l’islamophobie dans un pays qui a connu dernièrement l’une des pires vagues de violences contre les musulmans dans l'histoire de l'Inde indépendante.