La teneur du discours prononcé, mardi soir par le Président Kaïs Saïed, à l’ouverture du conseil national de sécurité, a autant surpris, suscité une vive polémique que produit un tantinet de questionnement.
Pour de nombreux observateurs, ce qui a interloqué le plus ce sont manifestement les critiques acerbes qu’il a adressées à l’action du gouvernement, qu’il lui est pourtant acquis et la tirade qu’il a développé au sujet d’hommes d’affaires jugées corrompues qui ont tardé à racler le fonds de leur tiroir pour apporter leur soutien à l’Etat visiblement désappointé par l’aggravation de la situation sanitaire, les grandes difficultés que le pays aura à faire face et la grogne sociale qui commence à gagner certains quartiers périphériques déshérités et certaines régions de l’intérieur du pays.
Il apparaît que les dysfonctionnements enregistrés aussi bien dans l’approvisionnement du pays en produits essentiels, dans la lutte contre la spéculation, qui a atteint des pics incontrôlés, que dans la mise en œuvre des mesures sociales annoncées depuis plus d’une semaine justifient amplement la colère du président Kaïs Saïed et surtout sa déception.
Il ne comprend pas pourquoi “les mesures sociales ont tardé à venir et que l’Etat n’a pas répondu à temps aux appels des pauvres, touchés de plein fouet par la crise sanitaire”.
Il a été surtout contrarié par le comportement récalcitrant des personnes qui se sont enrichies durant le régime déchu qui, à ses yeux, ont manqué à l’appel du devoir.
En 2012, a-t-il affirmé, “près de 13 millions de dinars (1 euro = 3,15 dinars) étaient dus à des personnes impliquées dans la corruption, leur argent est dans les banques. Pourquoi cet argent qui revient au peuple tunisien ne lui est pas attribué ? … C’est le droit du peuple et doit revenir au peuple”.
Partant, le discours du président a surpris par sa teneur un peu inhabituelle, son ton accusateur et les critiques directes qu’il a contenues.
Pour certains observateurs avertis, il aurait fallu dans le contexte actuel rassurer, informer, expliquer, rassembler, décider et agir rapidement et avec courage et détermination.
C’est là où réside le déficit que vit le pays actuellement qui, outre le risque de propagation du virus et son impact désastreux sur la vie économique, commence depuis quelques jours à faire face à une sorte de grogne sociale. Des habitants des quartiers périphériques ont bravé le confinement général en vigueur pour crier leur colère de la disparition des produits essentiels, de leur cherté soudaine et surtout des promesses non encore tenues par le gouvernement relatives à l’octroi d’aides aux familles nécessiteuses et aux besoins spécifiques.
Se trouvant dos au mur, le gouvernement a dû agir et publier un calendrier contenant les mesures d’urgence qui serviront de moyen pour contenir la colère et éviter également sa propagation dans les autres régions du pays.
Un conseil ministériel a été diligenté, le même jour (31 mars), à l’effet d’envoyer un message rassurant sur la mise en œuvre immédiate des aides financières et des mesures liées aux institutions et professions en chômage technique.
Concrètement, 60.000 colis de denrées alimentaires seront livrés au domicile des bénéficiaires à partir du 3 avril et jusqu’à la fin du mois du Ramadan.
Il a été aussi décidé d’ouvrir une école dans chaque municipalité pour accueillir les aides et les livrer aux familles nécessiteuses.
Il a été décidé enfin de mettre en pratique les mesures annoncées le 21 mars relatives à la préservation des postes d’emploi et la garantie de revenus des ouvriers et des salariés lors du confinement.
Elles concernent particulièrement l’ouverture d’une ligne de financement d’un montant de 300 millions de dinars en tant qu’aide aux ouvriers mis au chômage technique et la réservation de fonds financiers exceptionnels d’une valeur de 150 MD au profit des classes défavorisées qui seront accordés sous forme d’allocation.
Dans la foulée, le projet de loi concernant l’activation de l’article 70 a été voté, encore le 31 mars, par la commission du règlement intérieur au parlement.
La version approuvée permet au chef du gouvernement de gérer les affaires du pays par ordonnance durant un mois dans l’objectif de faire face aux répercussions de la propagation de coronavirus et d’assurer le bon fonctionnement des services vitaux.
En dépit de cette tournure tonitruante dans la gestion de cette crise, le mot prononcé par le Président de la république a été, une fois de plus, accueilli avec une certaine tiédeur chez la communauté des affaires.
Cette dernière considère que le dossier des hommes d’affaires qui étaient de mèche avec l’ancien régime a été bel et bien clos depuis au moins cinq ans, que la plupart des personnes visées ont été blanchies par la justice et que le message renvoyé par cette intervention risque de déstabiliser davantage le secteur privé, actuellement en butte à des difficultés existentielles.
D’ailleurs, pour amortir le choc et lever toute équivoque, les services de la présidence de la république ont dû publier, dans la soirée du 31 mars, une mise au point en guise d’explication des propos du chef de l’Etat.
La présidence de la République assure que Kaïs Saïed n’a fait aucune référence à la confiscation, mais il a simplement rappelé sa proposition datant de 2012 en rapport avec la réconciliation pénale avec les personnes impliquées dans des affaires de corruption financière, afin que cette réconciliation soit avec le peuple.