"L'Armée de libération nationale a déclaré (...) un cessez-le-feu unilatéral actif, à partir du 1er et jusqu'au 30 avril, comme un geste humanitaire envers le peuple colombien, qui souffre du drame du coronavirus", a indiqué l'ELN dans un communiqué publié sur son site web.
L’initiative du groupe armé, largement commentée par les médias locaux et les réseaux sociaux, a cassé la monotonie de la scène politique en ces temps de coronavirus suscitant un nouvel élan d’espoir quant à la possibilité d’une relance du processus de paix dans ce pays ravagé par plus d’un demi-siècle de conflit armé, le plus long d’Amérique latine.
Tout en précisant qu’il s’agit d’un cessez-le-feu "actif" au cours duquel elle se réserve le droit de se défendre face aux forces de l'ordre, aux paramilitaires et aux bandes de narco-trafiquants auxquels elle dispute le contrôle des activités délictueuses dans plusieurs régions du pays, l’ELN a toutefois appelé le gouvernement du président de droite, Ivan Duque, à une rencontre avec son équipe de négociateurs de paix se trouvant à La Havane (Cuba) "pour conclure un cessez-le-feu bilatéral et temporaire".
L’initiative du groupe armé, d’inspiration guévariste, a suscité plusieurs réactions en Colombie et à travers le monde.
Ainsi, le Haut-commissaire de paix du gouvernement colombien, Miguel Ceballos, a jugé insuffisante la décision de l’ELN qu’il a qualifiée de "tardive".
"Le coronavirus va durer plus d'un mois et c'est pour cela que les Colombiens s'attendent à ce que le cessez-le-feu et la fin des actions criminelles de l'ELN soient permanents, tout comme celles des autres groupes", a-t-il déclaré au site web "kienyke.com".
Répondant à une question sur l’éventualité d’une reprise du dialogue de paix avec cette guérilla, rompu définitivement suite à l’attaque à l’explosif, perpétrée par le groupe rebelle le 17 janvier 2019 contre une école de police à Bogotá et ayant fait 22 morts et 66 blessés, le responsable colombien a rappelé les conditions posées avant cet attentat par M. Duque pour la relance des pourparlers signifiant implicitement que la porte reste toujours ouverte à des négociations.
"Il ne suffit pas de déclarer un cessez-le-feu. Il doit être accompagné des actions que le gouvernement a toujours exigées, à savoir la libération de tous les kidnappés et la cessation de toutes les activités criminelles", a souligné M. Ceballos.
Quant aux observateurs, ils estiment que la conjoncture est propice pour la reprise du dialogue de paix entre le gouvernement et l’ELN, d’autant que les deux parties ont récemment pris des mesures susceptibles d’aider à instaurer la confiance réciproque entre l’Exécutif et le groupe rebelle.
L’ELN a procédé la semaine dernière à la libération de quatre personnes enlevées en février dernier, alors que le gouvernement colombien vient de nommer deux anciens chefs de la guérilla en tant que "promoteurs de la paix" en annulant les mandats d’arrêt dont ils faisaient l’objet.
A ce sujet, Luis Eduardo Celis, spécialiste du conflit armé colombien, estime que la résolution du conflit armé passe par l’ouverture d’un processus de dialogue et de négociations avec l’ELN, avertissant qu’une victoire militaire sur la guérilla sera très couteuse en vies humaines.
"Le président Iván Duque leur a demandé (à la guérilla) de cesser unilatéralement leurs activités, maintenant ils le font pendant 30 jours au milieu de cette crise et nous espérons que ce sera le moyen pour eux d'aller à une table de dialogue", a-t-il déclaré au journal El Espectador.
Pour sa part, le sénateur du Pôle démocratique, Iván Cepeda, qui fut l’un des médiateurs des processus de paix, souligne que des gestes de cette nature laissent croire qu’il existe toujours la possibilité d’un dialogue entre le gouvernement Duque et l’ELN.
"Ce que nous constatons, c'est que les conditions que le gouvernement avait posées pour relancer (…) ce dialogue sont en train de se concrétiser. Il y a quelques jours, l'ELN a procédé à la libération de quelques personnes et maintenant il déclare ce cessez-le-feu unilatéral qui, bien qu’il soit actif, est un bon signe dans cette direction", a ajouté le sénateur dans des déclarations au même média.
L’initiative de l’ELN a également été vivement saluée par l’ONU et certains pays garants du processus de paix en Colombie, à savoir la Norvège et Cuba.
Dans un communiqué, publié lundi, le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a indiqué avoir reçu "avec satisfaction" l'annonce par l’ELN du cessez-le-feu pour un mois, invitant les autres groupes armés à faire de même.
Par le biais d'un tweet, le ministère norvégien des Affaires étrangères a salué cette initiative. "C'est une étape importante pour soutenir la population vulnérable et tous ceux qui luttent pour la paix", a estimé le ministère.
De son côté, le ministre cubain des Relations extérieures, Bruno Rodriguez, a salué le "geste humanitaire de l'ELN en déclarant le cessez-le-feu unilatéral", en réponse à l'appel du secrétaire général de l'ONU. "Le soutien de Cuba à la paix est inchangé", a-t-il écrit sur Twitter.
Cuba a abrité entre mai et août 2018 des pourparlers de paix entre l’ancien gouvernement du président de centre-droit Juan Manuel Santos (2010-2018) et la guérilla de l’ELN, suspendus par la suite par le président Duque après sa prise de fonctions en août de la même année.
Suite à l’attentat contre l’école de police de Bogotá, le gouvernement colombien a lancé des mandats d’arrêt à l’encontre de plusieurs dirigeants et négociateurs de la guérilla toujours présents à La Havane en demandant à Cuba de les extrader.
La requête de Bogotá a été rejetée par La Havane au motif que les protocoles signés par les parties ne prévoient pas l’extradition des négociateurs de l’ELN en cas de suspension ou d’échec des négociations. Les accords stipulent le retour des guérilleros en Colombie, selon La Havane.
L’ELN, qui compte environ 2.300 combattants armés et opère dans 10 % des 1.100 municipalités colombiennes, selon des statistiques des autorités et d’organisations indépendantes, est classée par les Etats-Unis et l’Union européenne (UE) sur la liste des organisations terroristes internationales.